L'aurore

image L'aurore

L'aurore est un croquis.
C'est sur cette pensée fugace que s'accroche mon esprit lorsque d'un rond-point j'entrepends de faire le tour plusieurs fois à 4h62 du matin. Ce n'était pas n'importe quel rond-point, pourtant la nuit finissait comme à son habitude par s'effondrer voluptueusement à l'ouest. Le jour irisait déja quelques franges nuageuses quand j'en étais à mon sixième tour. "Que ce rond-point est bon!" me dis-je à moi même après avoir entamé une bonne partie du septième.

Rien, pas un chat, attendez voir, si, plusieurs à bien y réflechir, car ce no man's time est leur fief, ils le défendent chèrement et ce n'est pas rare d'avoir à endurer leurs regards féroces pour se déplacer entre la nuit et le jour.

Quatre d'entre eux m'avaient déja avertis amicalement (oui, parce que moi et les chats partageons certaines convictions ésotériques au sujet des légumes en boites, ce qui me donne droit à une reconnaissance particulière (reconnaissance qui m'oblige néanmoins à des ablutions réglementées et un régime proprement répugnant); en bref, on venait de me faire savoir que la bande de Joe le gris avait pris le dessus dans la zone du canal, endroit stratégique si l'on considère que c'est un vivier à moustique, donc un remarquable terrain de chasse ornithologique. J'avais tant bien que mal traversé son territoire, prétextant des griffes émoussées et un coussinet en mauvais état afin de ne pas payer la dîme en rongeurs. Cette fois j'allais véritablement battre le record des tours de rond-point en vtt/réveil de cuite (une discipline dont je regrette l'absence aux jeux olympiques).

Ce n'est qu'au troisième tour que je reçu les premières gouttes, très légères et s'évaporant au contact de ma peau. La seconde rasade me trempa tellement bien que j'en bu une pleine gorgée. Et j'ai dû penser à cet instant qu'on arrosait rarement avec de l'eau potable, aussi je recrachais les nitrates et autres métaux lourds qui n'avaient pas encore devinés le chemin de mon estomac.

L'aurore délivre des croquis sans couleurs, sans formes, des structures fantômatiques que la nuit materne et berce dans sa robe de gaze. Puis le travail de la vie s'active et accentue les nuances, distribue du relief et des contours. La nuit ne s'évapore pas tout à fait, ses bras enveloppent chaque chose qui naît du matin, une dernière étreinte qui rend fous les hommes et les chats, seulement elle leur fait promettre d'être fidèles à la virginale lumière, en dépit de sa nature vertueuse.

Mon vélo déguste des kilomètres de bitume, il grignote même quelques chemins de terre et un peu de verdure, en dessert. S'animent devant moi les plus nobles banalités, une voiture passe seule sur la voie de gauche de la francilienne, ses phares perçent le jour blafard d'une lumière crue, elle ne fait aucun bruit. Un autre chat me fixe jusqu'à se persuader que le monstre que je monte ne fera pas demi-tour, puis s'enfuit dans les fourrés, plein de ruse. Quand j'arrive à quelques centaines de mètres de ma destination, je survole, d'un pont ,le paysage qui m'a l'air plutôt réussi. Alors je m'arrête, je toise l'horizon comme un brave : "Les belles choses n'existent que par l'oeil qui en observe la beauté, pensais-je, par hasard et fort heureusement j'ai pu donner naissance à une matinée qui s'annonce ravissante." Ensuite j'ai tourné la clé.