Tout à l'heure j'étais allongé sur mon lit, appuyé contre mon bureau. L'angle que formait mon cou en s'inclinant de manière à ce que je puisse lire correctement me faisait légèrement mal. Ce n'était pas insupportable mais je me suis levé et je suis venu écrire ici. Ce n'était pas nécessaire, et en dépit des conséquences manifestes de mon acte, je n'en avais pas envie. C'est à cause de ma position pour lire. Je ne lis bien qu'allongé. A un moment j'ai eu le vague sentiment d'être certain d'en avoir envie. Et puis ça m'est passé, alors je l'ai fait. Le résultat ne m'arrache aucune maxime, je suis juste là maintenant, devant mon écran, alors que je me trouvais un peu plus loin auparavant. Si je pense que mes doigts se déplacent pour introduire sur cet écran l'histoire de cette entreprise, alors c'est vrai, j'écris. De même que sur mon lit, je tenais ce livre pour y lire ce qu'un autre qui ne me connait pas a bien voulu laisser comme trace. Pourtant je suis indistinctement moi à un point ou à un autre.
Encore maintenant, je baille et laisse mes yeux lourds tomber sur le planisphère qui me sert de sous-main. Vous n'en savez rien. Autrement dit, je continue d'exister lorsque je suis un baillement, ou cette image abstraite de mon regard pesant. Chaque geste suscite en moi un étonnement démesuré. Je l'observe, je l'interroge, mes lèvres tentent de dompter chacune de ces bêtes sauvages qui prennent subitement du poids dans l'air. Il me faut une cage, et les liens du verbe. Finalement je les apprivoise, elles existent aussi sans le savoir. Les mots sont tout à la surface des choses, mais ils ne les retiennent pas. Elles peuvent prendre corps en un instant, bondir en entier et vous sauter à la gorge.
Le bracelet a la forme de l'infini, c'est un symbôle, mais c'est aussi un peu d'elle. Ce n'est pas le tissu tressé et ses motifs roses pâles que j'observe, c'est l'oubli, c'est sa voix, et toutes les manières possibles de le lui rendre. Je regarde la surface des choses, et je vois en dedans. Mes yeux se fixent sur le pendentif qui y est accroché et j'entends son rire. Toutes les forces sont contenues dans les choses. Non, elles irradient, rien ne les maintient.
Toute l'existence déborde là maintenant, parce que la musique que j'écoute ne me renvoie à aucun vocabulaire, parce que ces sons vibrent au delà de ma compréhension, et que je suis réductible à la musique, je ne suis qu'un accord maladroit, mais j'ai ma place, à mesure que je respire j'ouvre des voies vers le bracelet, l'infini, la musique, le ciel et mes souvenirs.