Au gré de son déhanché, les lourdes fesses de Fanny se superposaient aux briques roses de l'escalier en colimaçon.
«Ça me rend complètement dingue de savoir qu'elle va faire un truc pareil.
- Ouais, répondis-je sans enthousiasme, carrément dingue.
- Tu peux être sûr qu'elle va encore venir pleurer après ça.»
Elle gravissait péniblement les dernières marches du cinquième étage, en soufflant par principe plus que par fatigue. L'escalier l'affligeait. Le quartier l'affligeait. Toute la soirée et les gens qui s'y trouvaient l'ulcéraient.
«Après quoi? Essayai-je sans conviction.» Elle me foudroya sur place, sans se retourner. Je compris juste au mouvement sec qui avait secoué les deux globes dodus. Et à ce silence qui voulait dire: Tu es un idiot. Mais un idiot docile, alors sois gentil et donne moi juste la réplique.
Curieusement, j'arrivai le premier sur le palier du neuvième étage. Je me retournai sur ma petite amie. «Tu sais que tu es toute belle ce soir, et j'accompagnai mon compliment d'une petite fantaisie bien à moi, les doigts joints, je mimais un baiser à son adresse.»
Elle sursauta.
«Putain, j'ai réussi à oublier! J'ai oublié de passer chez Audrey cette aprem'! Je suis blasée, là, je te jure, ah non, pas la peine de me regarder comme ça, tiens regarde, et elle se pencha en désignant la racine de ses cheveux.
- Je préfère effectivement quand tu laisses ta frange sur le côté, là c'est...
- C'est quoi? Elle me coupa dans mon élan, signe que je n'avais pas fourni la bonne réponse. La frange droite c'est ce qui me va le mieux. Qu'est ce que t'y connais en coiffure toi? Elle se radoucit. Non moi je te parle de ma coloration, Audrey devait me la faire. Ça fait trois semaines tu sais.»
Comme je n'en savais vraiment rien, je misai sur un acquiescement mesuré et continuai de me rapprocher subrepticement de la sonnette.
«Enfin, tu comprends que ça me gêne de passer la soirée comme ça. Déjà qu'ils frisent rapidement sous la pluie et que tu as failli te garer trop loin.»
Solennel, je glissai vers elle, avec l'assurance des techniques empruntées au Cinéma.
«Fanny! Je pouvais maintenir l'intensité de mon regard pendant plusieurs minutes sans lâcher.
- Oui? Dit-elle d'une voix qui se fit soudainement poignante.
- Je t'aime, Fanny.
Et je l'enlaçai, en maintenant soigneusement l'espace entre son visage et ma poitrine. Presque un réflexe maintenant. Ne jamais oublier la répartie.
- Oh, Fred, c'est tellement, tellement.. vrai que tu m'aimes! Et moi.. et moi.. si fort!
C'était le moment où nous n'avions plus rien à nous dire. Alors, je la serrai dans mes bras, son visage enfoui dans mon sweat-shirt, et je me vidai l'esprit tout en contractant mes muscles. Particulièrement efficace.
«En tout cas. Pas comme elle et son nouveau copain», se sentit-elle obligée de rajouter avant que le rideau ne tombe. Et que mon doigt ne manifeste notre présence auprès de nos hôtes.
Le garçon qui nous ouvrit devait faire au moins deux têtes de plus que moi, et son t-shirt semblait trop petit, gonflé par une musculature suffisamment flagrante pour avoir été cultivée durant de longs mois. Les émanations parfumées de son after-shave ne manquèrent pas de produire chez Fanny une réaction instinctive qu'elle tenta tant bien que mal de dissimuler:
«Salut! Dit-elle en s'avançant sobrement vers l'adonis pour lui faire la bise.
- Salut, répondit-il en roucoulant.»
Puis se tournant vers moi, faillit m'éventrer d'une main qu'il darda contre ma poitrine:
«Stephen, je suis le copain de Gaële, déclara-t-il sèchement à ma destination pendant que je répondais à sa poignée de main.
- Enchanté Stephen, moi c'est Fred, répondis-je gaiement avec toute la mauvaise foi dont j'étais capable.»
Mon air réjoui ne l'intéressait pas. Mais un échange de sourire avec Fanny lui donna assez d'assurance pour se tourner vers moi et façonner une attitude bienveillante du plus bel effet. Un faux parfaitement maîtrisé qui nous permis malgré cette hostilité naturelle qu'ont les hommes entre eux, de communier quelques instants sur nos performances.
«Ah ouais, dit-il en brisant notre trêve et en scrutant d'un air idiot un meuble à droite de la porte dans l'appartement, c'est ça qu'elle disait Gaële, faut enlever vos pompes, elle a tout nettoyé l'appart'.»
Fanny avança sa jambe droite, triomphale:
«Vous faites pas une exception pour les jolies bottes comme ça?» Elle pérorait, fière de ses bottes en polyester qui lui pressaient les mollets et donnaient à ses jambes couvertes de nylon, l'allure de deux grandes aiguilles.
Malgré sa petite taille, et un cul spécialement volumineux, ses cuisses fuselées et sa taille fine allongeaient sa silhouette. Ses proportions me paraissaient tout à fait acceptables. Et je n'étais visiblement pas le seul à faire ce constat.
A sa façon, Stephen goûta les formes de Fanny, littéralement, le corps tendu, l'esprit de prédation envahissant progressivement son organisme. Ses yeux étaient ceux des loups, déterminés, limpides et ses lèvres tressautèrent, comme pour mordre.