Alors que les élégantes trouvaient exquis, de porter aux doigts d'imposantes pierres,
Qui des rochers pouvaient susciter la jalousie,
Une femme vint, sans que l'orgueil lui eût ordonné la même coquetterie.
"Quel étonnant minéral ! Si discret et pourtant si resplendissant !" admirèrent les dames.
Et à chacune de rapprocher ces charmes de ceux qu'elle tenait pour évidents sur son propre galet.
"Sans l'ombre d'un doute, cette merveille vient d'Italie !" dit la première.
"Je vois ici et là les marques d'un grand maître, se pourrait-il... que nous soyons clientes du même orfèvre ?" fit semlant de s'étonner la seconde.
"Rien de tout cela mes chères âmes, aussi vrai que je suis la seule ici à descendre d'une reine, ce trésor est un vestige royal" lâcha une grande dame, lourde d'une dizaine de cailloux.
Aussitôt, l'enthousiasme gagna des considérations moins descriptives, et l'on complimenta la nouvelle venue,
lui prêtant toutes sortes de vertus ravissantes. Il fut convenu que la noblesse se lisait sur son front souverain.
Que son regard déterminé accentuait l'intelligence de ses lèvres sévères mais justes, et que la majesté de son nez était un caractère, voire le signe d'une grande lignée.
Personne n'omis d'ajouter à ce tableau, qu'un visage si captivant était un nid propice où la grâce se posait soudain, en sublimant la noblesse d'une vibrante compassion.
La compassion ne fut pas la dernière qualité qu'on loua. Ravies de s'exercer à ce jeu sans risque, inlassablement, elles continuèrent leur interminable catalogue des sympathies.
Honnête, franche, volontaire et adroite. Sophistiquée, lucide et sensible. Brillante, simple et enthousiaste. On put dire des choses contradictoires en cet instant, mais les dames du monde ne s'en offusquèrent pas.
Cependant que cet exercice poursuivait son cours, la jeune femme s'exclama fort clairement :
"Je vous suis très reconnaissante pour avoir pris soin de me regarder avec attention, et vos gentilles civilités me vont droit au coeur".
"Néanmoins, rajouta-t-elle, je me dois d'éclaircir l'objet de cette discussion." Et elle leva la main en la montrant à l'assemblée.
"Voyez par vous-même, mesdames, ma main est nue."
Attentivement, et peut-être pour la première fois depuis l'arrivée de la jeune femme, toutes les précieuses se mirent à fixer la main coupable.
Et comme le ciel capricieux de mars, fondirent brusquement sur la pauvre demoiselle avec le dégoût au bord des lèvres.
"Comment ! Mais quelle atttitude impardonnable !"
"J'avais tout de suite sû qu'on ne pouvait lui faire confiance !"
"Aa ça! Avec son petit air méchant ! Et sa façon vulgaire de nous montrer sa main !"
"Quelles idiotes nous faisons, c'est la bonté qui nous perdra !"
"Ca nous apprendra à laisser venir ainsi une femme que tout prédispose à la tromperie"
"Absolument, son nez, mon dieu, quelle horreur, tout à l'heure je laissais dire... La pitié voilà ce qu'elle m'inspire vraiment."
"La pitié ? Même jetée au visage je ne lui offrirai pas !"
"On ne lutte pas contre ses origines, croyez-vous qu'elle ne soit pas de notre cité ?"
"Ce n'est pas sans fondement, il y a peu de vertu chez cette femme ça crève les yeux."
"Une batarde."
"Elle s'adonne à la boisson."
"Une étrangère."
"Elle monnaye certainement ses services..."
"Les hommes..."
"Mais qui voudrait d'elle ? Et encore payer pour cela !"
"Ah ! Mais qui te dit que ce sont des hommes ?"
"Des bêtes."
"Engeance du diable !"
L'auteur, que la déontologie tient au secret et garde à distance des conflits que soulèvent ses histoires, voudra néanmoins jeter un regard furtif sur cette main mensongère.
Il sera surpris d'y contempler une lumière qui ne démérite pas les chants qui lui furent d'abord consacrés. Pourtant, si les élégantes sont sujettes à la beauté, et qu'elles n'échappent pas à sa vision, elles s'empressent bien vite de lui donner
la forme et les limites de d'une beauté domestique et raisonnable. Libre à elles, par la suite, de voir de la beauté partout où cela est utile. Mais attention à l'amertume des dames confrontées à la beauté sans visage, sans chaînes et sans but.
Pleines d'un sentiment d'infinie jalousie, d'un regret trop honteux pour être admis, elles s'évertueront à assassiner chaque avatar de la beauté, comme autant de têtes qu'à l'hydre elles croieront diminuer.
Seulement mesdames, vos armes redoutables sans doute, ne blesseront jamais que les eaux du mirage.