Le lapin

image Le lapin

C'était un rêve troublant, où se mélangeait Alice, l'inceste, et le pays sur lequel fleurit mon imaginaire, le Japon.
Dans un environnement familier, dans des villes maintes fois traversées, je marchais avec l'impression que le temps s'était fatigué, lassé. Et puis, le destin a placé sur mon chemin cette jeune femme, elle était belle, mais pas seulement, elle m'était aussi familière que les villes dont j'arpentais les rues molles. Enfin, tout comme moi, elle venait d'une autre dimension. Une dimension dont les portes s'ouvraient qu'en de rares occasions, et dont je ne connaissais pas aussi bien qu'elle les secrets. Alors elle me montra, et nous glissions d'un monde à l'autre, comme s'il s'agissait d'un jeu d'enfants.
Je l'aimais.
Son regard était aussi irréel que nos rencontres, notre pouvoir cultivait en nous le sentiment d'être au delà des hommes, notre complicité nous préservait de leur triste sort. La tendresse de nos courts échanges laissait s'ouvrir en moi des failles que je ne parvenais pas à comprendre, alors je les oubliais, jusqu'à l'apparition.

Quand la jeune femme aux cheveux d'or s'en allait par les brèches du temps et de l'espace, une créature à la peau sombre et aux griffes menaçantes faisait son apparition. Elle m'en veut sans raison, me poursuit, me hante, elle hurle après moi des anathèmes incompréhensibles, j'ai peur qu'elle me rattrape, et je m'échappe toujours au dernier moment.
Un drôle de lapin dérive toujours dans les parages, comme dans Alice, j'essaye de le rattraper, il sème des réveils d'autrefois, je ne le rattrape jamais, le temps me ravale et je m'englue dans le présent.

A la fin de mon rêve après avoir touché du doigt la promesse d'un baiser, je m'éloigne un peu de mon aimée pour m'apercevoir que le lapin est encore là, et cette fois je lutte contre les forces de la physique pour l'atteindre, le forcer à se retourner, à me regarder et je lui retire son masque : C'est une très belle femme aux cheveux noirs et fins. Elle pleure. Elle a l'air infiniment triste comme ça. Et je sais que j'en suis responsable.

Ensuite je sursaute, je me réveille, j'ouvre les yeux sur la réalité du rêve. Je suis à table avec ma soeur, et ma femme. Nous dînons, j'ai trente ans. Nous sommes au japon, assis en tailleur. Ma femme est belle et ne pleure plus mais c'est bien la femme au lapin. Ma soeur aussi est belle. Je comprends tout, le refuge, les pouvoirs, la supériorité, le lapin qui fuit sous le masque. Et puis ma femme boutonne son chemisier. Ce geste se grave sur ma rétine et reprend des milliers de fois en quelques secondes, je la vois vieillir alors au fil de ce geste, vieillir et s'enlaidir sous ce masque de rancune et de haine pour son époux infidèle en pensée. Elle devient le monstre, reprend sa forme normale. Et le rêve s'éteint.