Je ne peux pas longtemps dénigrer la sympathie que j'ai pour ce modèle si fréquent, si remarquablement fatal. Le mec paumé existe partout, il n'y a pas de distinction de milieux, de goûts ou de personnalités, tout ce qui apparaît de cet individu, c'est qu'il est complètement perdu, qu'il soit idiot, qu'il soit superficiel, excentrique ou homosexuel.(notez l'effort pour dissocier volontairement homosexualité et excentricité)
Le mec paumé il va à la fac parce que c'était dans le plan de ses parents, ou les siens, mais plutôt par voie de conséquence de l'obtention d'un bac, parce que la fac, le mec paumé il est même pas là pour en rire. Pour vous assurer d'en avoir un dans votre classe, cherchez ces élèves discrets dont le visage n'est familier de personne et qui n'ont de cesse de demander si une âme bonne et indifférente à leur cause (oui parce que les types paumés détestent par dessus tout qu'on s'intéresse à eux) ne voudrait pas leur fournir le résultat de trois semaines d'amphi. Le pire, c'est qu'il tente parfois de faire des efforts, en se préocuppant des autres justement, il se mêle aux conversations, mais il ne saisit pas bien pourquoi tout le monde parle d'une sortie à Eurodisney alors qu'il n'a pas été prévenu, et çà le dégoute un peu vraisemblablement.
En cours, il tremble de peur quand le prof se propose de poser quelques questions ou d'engager un débat, heureusement il est toujours sauvé par une fille véner qui bien qu'elle ne le fasse pas savoir ouvertement, méprise considérablement les types paumés. Ses copies dans le pire des cas sont des torchons illisibles, tissés d'absurdités grammaticales et syntaxiques qui n'ont rien à envier à un enfant en cours préparatoire. A contrario, lorsque le mec paumé maîtrise la langue et l'écriture mieux que la matière qu'il est censé exercer, les résultats sont mitigés, il y met du sien mais les professeurs ne comprennent pas trop pourquoi la logique d'un concept avancé est assimilé alors que l'élève en question ne fait aucun des rapprochements évidents attendus dans ce genre d'exercice.
Quelques cas rares voient l'individu dont nous parlons se remettre en question au sujet de sa présence à la fac, une copie particulièrement brillante, une réflexion élogieuse d'un maître, le conseil avisé d'un ami peuvent lui redonner espoir et même lui donner l'envie de se plonger dans ses études plus encore que n'importe quel élève laborieux de sa promotion. Les survivants qui parviennent à rester dans l'établissement s'étonnent toujours du chemin si complexe pour trouver l'amphi Un au premier étage du batîment Un. A midi, de peur de se tromper, de peur aussi de s'attacher aux mécanismes étudiants, les mecs paumés restent assis dans la salle si elle est ouverte, sinon ils flirtent avec les murs dans ces longs couloirs où personne ne reste jamais, parce que disons-le, ça craint fermement.
Ces énergumènes sont de gentilles personnes,
rarement de gro[s]sses conn[ards]sses, hélas bien souvent
finissent par être un peu lourdes à supporter.
Détail
amusant si l'on veut, le mec paumé est un modèle
d'optimisme : Après avoir constaté son échec
dans la plus grande partie des matières desquelles il n'avait
pas les cours, notre héro ne frémit pas. Il se dit
qu'il lui faudra travailler un peu plus au prochain semestre.Mais un
Un ou un Deux le surprend , convaincu qu'il est qu'on improvise un cours
d'histoire institutionnelle sur le vif d'un sujet aussi erratique que
"La guerre et les pauvres", il se ravise et se dit que
finalement il n'était qu'à Huit doigts de la moyenne, si
peu.
Il ne sent pas concerné, et se justifie comme il peut, bien qu'on aimerait le croire malhonnête parfois, sa franchise vous désarme; Quand il s'agit de faire un exposé pour le lundi suivant et que quelqu'un suggère une date pour le groupe, le mec paumé refuse, il doit rentrer avant que ne ferme la boulangerie, comprenez, il a toujours une excuse pitoyable : la piscine, goûter, prendre un bain ou bien écouter un disque avec des amis, mais rester à l'université une heure de trop, c'est au dessus de ses forces, et le pire c'est qu'il dit vrai. Un jour que le vent l'avait poussé à la fac, alors que rien ne l'attache vraiment à ce lieu, il s'assoye à coté de vous, s'empare d'une formule d'introduction vieille d'une mémoire qui n'a pas fait l'effort de retenir votre prénom ("hey, salut heu..., ça fait un bail... ? Phillipe ? Yves ? Max ?") et vous demande ce que fait ce guignol costumé au milieu de l'amphi. Vous n'osez pas lui répondre que depuis deux ans il est inscrit en Art du spectacle...