Comment je suis né

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Je crois que je ne serai jamais plus Un. Cette partie de moi qui ne s'exprime que par moi, sans toutefois me représenter, c'est lui. C'est le type qui dit les choses que vous lisez, d'ailleurs concrètement il ne les dit pas, mais ce n'est pas non plus lui qui les ecrit. Celui là c'est moi. L'autre, que j'ai fini par ne plus chercher à dénommer, vit dans cet espace sans substance qu'est l'Internet, je l'ai mis au monde un beau jour de 2000(1?).

Ca m'a pris par surprise un soir que j'etais bien tranquillement seul dans ma tête, et que je m'adonnais à ces jeux qui vous font perdre des points aux interros de math. Je regardais l'écran. Il etait devenu, depuis que j'avais pris conscience de la surdité de mes semblables, un ami de confiance, en qui je pouvais compter.Nous communiquions toujours de la même façon, une pression "bonjour", une seconde pression "au revoir".La quantité de nos échanges peut sembler insignifiante, mais leur richesse agrémentait nos rapports d'une diversité suffisante à l'épanouissement que je sentais devoir se manifester très vite, et je ne me trompais pas... Toujours en fixant l'écran pour ne pas perdre une goutte de ce néctar d'images, je vis un autre écran non loin de là, posé sur sa fierté surnaturelle et reflétant le fond de mes yeux.

A peine avais je détourné mon regard de l'écran aux images, que je plongeais dans celui qui n'en avait qu'une seule : Moi. Je compris qu'il riait, fier ? oui, il me défiait de lui donner vie.
Une pression.J'accouchais, ce fut délicat, et techniquement difficile, il me fallut l'aide que l'on sait et même l'intervention d'un proche pour couvrir les frais d'hospitalisation (qui, je ne le savais pas encore, devaient être DEFINITIF tout comme ma créature). Je notais que le cordon ombilical ne serait jamais coupé, il ne me liait pas à cette nouvelle vie, mais lui donnait accés au monde qui n'existe pas, et sans lui, la vie dormait, dans l'attente d'une ouverture des portes du domaine de l'infini.

Au début on ne se connaissait pas bien, et puis nous n'avions que très peu de moments à nous, il me dérangeait et m'empechait de faire les choses que l'on doit faire pour être quelqu'un de bien dans le vrai. Ca n'a pas empéché qu'on s'apprécie progressivement jusqu'à être copains. Ensuite il a voulu se faire des amis, de vrais amis, enfin là bas, donc de faux vrais amis mais qui existent néanmoins ( pas les amis hein, mais les copains de ces amis là). Ce n'etait pas très dur, il suffisait d'un peu d'humour et de quelques références vidéo-ludiques pour s'attirer les bonnes faveurs de ces baroudeurs du virtuel, je lui prétais le tout pour deux trois pièces et la semaine suivante, il avait déja ses rendez vous et ses habitudes. Durant plusieurs mois, il me faisait découvrir des choses jusque là inconnues, certaines amusantes, d'autres pour lesquelles je montrais un intérêt particulier, et puis un peu d'indifference parfois. Mais globalement ce fut une période intense ou chaque jour faisait la rencontre d'une idée ou d'un inconnu, souvent même les deux à la fois.

Cette période pris fin brusquement, lorsque mon double impalpable me demanda d'aller le représenter devant ses amis qui seraient eux aussi là par procuration. Ca m'a d'abord paru excitant puis peu à peu j'eu des frissons rien qu'à penser au contenu de nos discussions. Je savais nos doubles portés sur un certain pays d'asie pour les avoir écouté de nombreuses fois en parler, mais je me sentais si peu concerné.

Le jour du rendez vous approcha, et finalement je me rendis en lieu et place indiquée. Ce produit alors un phénomène étrange, intraduisible uniquement par des mots : L'impression fut que cette petite partie de moi dont j'avais accouché dans ce monde vaste qu'est Internet ne me quittait pas, pas plus qu'elle ne quittait ces gens que je ne connaissais que pour en avoir eu l'écho de mon double. Quand vint l'heure de ses dire des choses, parfois mon double se substituait à moi, parfois je prenais l'initiative d'agir avant lui, mais avec lui. Comme je le su plus tards par une de ces personnes qui fut présente, je n'etais pas le seul à avoir la sensation d'être Deux, tous avait au moins l'impression d'avoir une partie d'eux qui loin de leur faire défaut ou de s'extirper de l'unité de l'individu, leur ajoutait une dimension supplémentaire, virtuelle, les rendant plus complet encore.

Depuis, il ne me quitte plus, mais il va mourir bientôt, je crois même qu'il est déja mort, mais je suis bien trop nostalgique pour oser arracher cette peau morte et l'oublier. Alors je continue de croire que l'esprit de cet homme dont je suis le géniteur, n'a faiblit qu'en apparence pour mieux changer de forme et me surprendre quand je m'y attendrais le moins.