Sur les terres de Namira et Claemena, les nations jumelles, une vieille légende est à l'origine des différences dans la nature des hommes et des femmes.
Au commencement, Dieu était l'absolu, infini et invariable, et tout l'univers lui était subordonné. Puis Dieu, qui malgré sa position n'était pas dépourvu de sentiments, désira faire l'expérience
du changement et du besoin. Son omnipotence lui interdisait cependant de connaître le sentiment de manque, car il était tout, pouvait tout, et existait partout. Ce constat l'attrista profondément.
Aussi, il décida que des êtres de sa création, lui permettraient de jouir de l'inconstance et du changement par procuration. Car Dieu attacherait au plus profond de leur matière, un lien indestructible et éternel qui leur permettrait de
communiquer leurs affections. Le premier être qu'il connut fut Namira, la mère de tous les hommes. Elle n'était pas encore femme, car Dieu lui donna des soeurs semblables, et chacune eut un monde pour y cultiver le savoir.
Après qu'il fût versé dans l'assiette du temps, plus de poussière que n'en contenait l'univers. Dieu jugea qu'il était déçu. La corde qu'il avait relié à tous ses enfants n'avait jamais vibré.
Namira comme ses soeurs, n'avaient besoin de rien. Et rien de sensible ne traversait leur matière. A l'instar de leur créateur, elles étaient parfaites. Et chaque monde qu'elles occupaient avançait immuable, comme l'univers tout entier à l'échelle de leur créateur.
Au nombre de cent-huit, ce furent les premiers hommes, aussi appelés les "vrais miroirs", car contrairement à la plupart des hommes d'aujourd'hui, ils étaient à la fois l'être et l'image.
Dieu en conclut que leur avoir donné un monde à chacune était une erreur. Les mystères de ses jugements impénétrables firent qu'il annihila toute son oeuvre, sauf une. Et cette rescapée des premiers hommes, ce fut Namira.
Plein d'amertume, Dieu renouvela l'expérience en prenant soin cette fois-ci d'amputer à Namira et aux êtres à qui il insuffla le don, la maîtrise des dimensions de l'univers, telles que le temps, l'espace et le coeur. Dépourvus d'homéostasie, Dieu pensa qu'ils seraient contraints d'absorber le monde pour exister avec lui, et il pensa encore que cet appétit lui était inaccessible. Il fut satisfait de ce qu'il connaîtrait par le biais de ces êtres.
Il les fit vivre sur un seul monde, qu'il partagea en territoires sans régularité. Certains étaient accueillants, d'autres stériles et inhospitaliers. Il mit en mouvement la matière du monde, doucement, pour que cette impulsion mêlée au temps fasse croître toujours plus de diversité.
Enfin, par bienveillance, il offrit à ses enfants une paire d'ailes puissantes et légères, pour que chacun se souvienne et se console de l'élévation véritable, et du chemin qui mène à travers le ciel du coeur, jusqu'à Dieu. Il pensa aussi que le monde était vaste à parcourir physiquement, et que les "anges" - car c'est ainsi que l'on appelle la seconde race des hommes - jetés sur la surface du monde
auraient besoin de se mouvoir rapidement les uns vers les autres, sans être détournés de leur chemin par les obstacles éprouvants sur lesquels Dieu avait décidé de ne pas agir pour que les hommes connaissent l'imperfection et la lui transmettent.
Hélas, les anges s'animèrent si bien qu'un esprit commun les enjoint de se répartir sur la terre, et de n'entretenir aucun rapport entre eux, se suffisant à eux-mêmes. Malgré leur coeur libre et inculte, les anges ne cherchèrent pas à connaître et à percevoir le monde. La science de l'équilibre leur suffit à rester loin de toute nécessité. Ils récoltaient l'essentiel de leur subsistance sur terre, et attendaient que le déséquilibre se fasse pour recommencer.
Dieu écoutait les hommes, et ce n'était pas le silence qui venait jusqu'à lui. Mais il continuait de lire la même continuité chez eux. Et cela le rendait triste.
Dieu su qu'il serait préférable qu'il en soit autrement, alors il n'écouta plus et se retira derrière les secrets qui ne nous serons jamais confiés. Durant cette période, les anges restèrent fidèles à Dieu sans le connaître.
Quand Dieu se manifesta à nouveau, ce fut pour exprimer une colère terrible qui s'abattit sur les anges. Il les déchira, arracha leurs ailes, noua autour de leurs têtes des vérités insupportables et défit le lien qu'il avait avec eux.
Quand il eut fini, il reçu un sentiment inconnu, provenant de l'un de ses anges, et ce sentiment Dieu le traduisit comme une tristesse plus grande encore que celle qu'il avait ressentie. C'était Namira, la mère des hommes, qui pleurait sur le sort lamentable de ses soeurs.
Dieu ne fut pas surpris, et s'adressa à elle : Pleurait-elle parce qu'elle savait que cette destruction lui était aussi destinée ? Non, répondit Namira, qui pleurait parce qu'il était trop tard désormais pour connaître ses soeurs. Dieu lui demanda pourquoi ne les avaient-elles pas connu auparavant ?
Malgré l'omniscience divine, la réponse de Namira fut une réelle surprise : Comment avoir besoin de quelqu'un sans savoir qu'il pourrait définitivement ne plus y répondre ?
Alors Dieu comprit que s'il voulait que les hommes appréhendent le changement, il faudrait qu'ils sentent combien ils sont fragiles, et que toute leur existence repose sur la faiblesse plutôt que sur la force.
Il dit à Namira : Je vais créer pour toi une nouvelle race, ils seront différents de toi, ils n'auront connu de la terre que la crainte d'y souffrir et des cieux que l'angoisse de la chute, mais tu partageras avec eux une de tes ailes, et tu mêleras ta chair à la leur.
Moins forte que tu ne l'es maintenant, tu dépendras de ces hommes futurs pour voler à nouveau, vos mains réunies, vous connaîtrez le même mouvement que le monde, toi et tes filles engendrerez des êtres changeants qui ne s'arrêteront jamais, ni dans l'espace, ni dans leur coeur.
Et toute cette oeuvre, tu en seras garante, je te la confie, tu l'aimeras et la protégeras, car la nouvelle race est une race incomplète, elle se blessera souvent, et souvent ne gardera des blessures que le désir souverain de vivre passionnément.
Ainsi finit cette légende, qui fait de l'homme un infini désirant, mu par quelque destin irrésistible, ne trouvant que rarement le repos, et de la femme, la gardienne du savoir et de l'équilibre, cherchant davantage à entretenir son jardin qu'à en étendre les limites.