Une frénésie meurtrière Chasse à l'homme en banlieue Le SDF fou
Tous ces titres tu vas m'dire, ça fait racoleur, hein ? Un truc de journaleux pour vendre leur merde à tous les cons en manque de sensations ? Et pourtant, moi qu'ai tout vu, j'peux t'dire que les journaux étaient dans le vrai ! C'était une putain de tuerie j'te jure.
Ca s'est passé quand ? Qu'est ce que t'en a à foutre. Ca s'est passé en banlieue, comme toutes les histoires dégueulasses. Sans héros, sans bandits, juste des losers, des cinglés et des bêtes, ou carrément les trois à la fois.
Ouais ouais, je sais ce que tu vas m'dire, y'a des mecs qui sont sortis de ce merdier avec les honneurs, le prefet qu'est même venu leur faire des courbettes et leur lécher le cul. Mais faut pas croire, ces fils de pute étaient comme celui qu'ils ont buté, des salopards sanguinaires. Ils étaient juste du bon côté, cette fois-ci.
Napoton ? Si je le connaissais ? Tu m'as bien regardé enculé ? Tu crois que je tape la discut' avec tous les clodos de mon patelin ? Putain mais ferme-là si c'est pour poser des questions aussi pourries, tu m'fous le cafard j'te dis. Napoton, j'ai su son nom qu'après, c'était un clochard un peu taré qui faisaient pas beaucoup parler de lui. On le croisait parfois près du centre commercial, toujours à traîner avec sa gueule de travers. Ouais, il avait dû morfler le pauvre, lui restait plus assez de dent pour bouffer, c'est pt'être pour ça qu'il préférait la bière. C'est plus une addiction à ce niveau là, le mec suintait la kro par tous les orifices.
Pour déconner, j'connais des mecs qui lui ont filé des canettes remplies de pisse. Qu'est ce que tu crois qu'il a fait Napoton ? Il a remercié dans sa langue, la langue des mecs qui ont pris la vie dans la tronche, tu vois l'genre ? Un merci qu'a même plus la force d'être poli, tu bredouilles un truc pour donner le change. Il a remercié et il s'est enfilé l'urine de mes potes en une rasade, à la tienne !
Enculé de désespoir... putain mais fais pas cette gueule là, t'habites où toi ? Y'en a que ça étonne encore la misère, eh ben mon gars....
Forcément, faut pas s'étonner que des trucs comme ça arrivent, à force que les gens comme toi qui vivent dans leur petits quartiers de pd branchés s'imaginent que la misère c'est beau, c'est humain, et toutes ces conneries.
La misère, mon pote, ouais t'es quand même mon pote, c'est un marécage, et tous ceux qui moisissent dedans, plus ils y restent, plus ils sont pourris. C'est ça la misère mec. De toute façon y'a pas de mystère, si personne veut être pauvre c'est pas seulement parce que ça implique d'arrêter de bouffer du homard ou d'oublier les vacances en corse, mais parce que plus t'es pauvre et plus t'as de chance de dérailler, de te foutre tes qualités humaines au cul et devenir moins qu'un homme.
Je sais que ça t'fait rigoler toi ces trucs là, toi qui pense que tous les hommes se valent, mais va voir si des mecs défoncés au crack qui dorment entre les poubelles pensent comme toi. Ca doit les toucher, vraiment. Tu vois, c'est ça qui me fascine. La transformation d'un homme en... autre chose, un truc que personne n'attendait. Et Napoton lui, c'est son nom qui lui ai monté à la tête et qui l'a changé.
J'étais au balcon, j'fumais ma clope tranquille, devait être 13h, j'venais de me lever, matinal comme d'hab. J'habite au dessus de la grande place, celle avec le centre social et la superette.
Depuis quelquees jours Napoton dormait entre les gros containers du magasin. Comme la place a été refaite, avec des bancs, des arbres et tout, ce clodo au milieu des ordures faisait carrément tâche pour les familles en balade. Tu sais ce que j'pense des villes de banlieue qui mettent le paquet en nous foutant des parcs et des allées flambantes ? En refaisant la peinture du quartier le plus craignos ? Ce sont des putains de gros hypocrites. Ces mecs-là pensent juste à vernir la merde pour que tu marches dessus sans pourrir tes pompes.
Mais la merde elle est toujours là, elle s'en fout de ton vernis. Et Napoton aussi d'ailleurs. Je l'ai vu se lever, les yeux fous. Il a commencé à descendre la rue, longeant la place, sans s'intéresser à quoi que ce soit. On aurait dit que le type avait été vidé de l'intérieur, il restait plus que la coquille.
Quand il s'est arrêté j'ai compris qu'un truc déconnait chez lui, enfin j'veux dire plus que d'habitude. Il s'est tourné vers la place, où une bonne femme faisait prendre l'air à sa poussette, et à piqué un sprint de malade dans sa direction ! Je crois que j'étais au premier rang, je savais ce qu'y allait se passer, c'était complètement dingue. Le mec courait de toutes ses forces... Tiens... tu sais ce que j'ai pensé ? J'ai pensé que si j'avais le pouvoir de l'arrêter Napoton, ben j'sais pas si je l'aurai fait. M'demande pas pourquoi, j'en sais trop rien. Pt'être un truc de la violence qui s'exprime malgré moi, j'suis pas psychologue mec.
En tout cas, je l'ai pas ce pouvoir, alors le sdf il a continué tu vois, et avec une putain de rage il a sauté les deux pieds en avant sur la bonne femme. Le coup était trop violent, elle a giclé à 3 mètres en glissant sur le béton. J'étais déjà sûr à ce moment qu'elle était crevée.
Les flics ? Ben non, j'ai rien fait moi, je suis resté à ma fenêtre, captivé par l'action. J'avais jamais vu un truc pareil, surtout la suite écoute : Napoton a sorti un schlass, c'était pas un couteau son truc, enculé... la lame devait bien faire trente centimètres. Il a sauté sur la poussette, enfin sur le gamin qui devait y être, et l'a démoli. Ouais, démoli. Après une dizaine de secondes y'avait plus rien, juste des lanières de tissu qui pendaient entre les morceaux de plastoc.
Il s'est retourné sur la mère et l'a défoncée à coups de pieds, un carnage... Aucun des mecs présents sur la place n'a fait quoi que ce soit. Ouais tu peux t'attendre à ce que dans le tas il y ait au moins un type un peu courageux pour aller jouer les gros bras, mais non, que dalle. Du balcon je les ai vus tous s'éloigner discrètement, bifurquer, changer de chemin. Quoi ? Mais putain oui que c'est lâche, mais t'aurais fais quoi toi ? C'est pas comme si un sdf un peu bourré te pointait du doigt en te menaçant de te coller une branlée. Le gars venait de buter une mère et son bébé, un couteau grand comme mon bras à la main. Mais crois moi, c'est pas ce qui les faisaient chier dans leur froc, j'te dis ça parce que moi aussi j'me chiais dessus.
Non le truc, c'est qu'il avait plus rien d'humain Napoton, et toi avec tes bonnes intentions, tu crois quoi ? Que t'allais le démonter ? Raconte pas de connerie, savoir se battre ça suffit pas. T'as beau être un ultra-violent, si tu croises une saloperie de bête sauvage tu sais que tu pars perdant, parce que l'animal a pas tes états d'âme, il a juste envie de bouffer. Même si techniquement Napoton ils auraient pu le mettre KO, je pense que tout le monde a pigé qu'il n'y aurait pas de deuxième chance. Tu le rates, t'es mort. C'est l'idée tu vois.
Après c'est parti grave en couille. Napoton s'est redressé encore une fois, avec la même face déterminée et hallucinée, il a regardé de l'autre côté de la place, vers la rue piétonne qui descend direct au centre-ville, et là mon pote, il a gueulé, mais tellement fort, j'ai cru qu'il allait crever. "Napoton", c'est ça qu'il a gueulé ce salopard. "Napoooootoooooon" comme ça, ah merde... c'était flippant, j'ai jamais vu un mec crier aussi fort, ça doit être un truc de survie, ou un réflexe des nerfs, j'sais pas trop. Ce que j'sais c'est que dans le périmètre y'avait plus personne. Quand il a terminé, une expression vraiment chelou lui est passée sur la tronche, et ça, ça m'a fait rentrer dans l'appart' et commencer à m'dire que je devais appeler les flics.
Ce fumier était en train de kiffer ce qui lui arrivait. C'était pas flagrant, mais j'en mettrai mes couilles au feu, Napoton, ou ce qui agitait encore un peu sa carcasse, venait de découvrir au fond de cette existence minable, le sentiment d'un truc grandiose et jouissif. Buter... des gens. Faut l'comprendre aussi, le mec a passé sa vie entre deux rigoles de pisse, à porter le même falzard dans lequel il devait chier pour éviter d'avoir à montrer son cul aux passants. Ouais, je suis d'accord avec toi, son scrotum ça devait pas être un chef d'oeuvre. Mais quand t'en es là, faut t'imaginer, c'est quoi tes options pour vivre intensément ? Prendre un chien ? Pisser sur la vitrine de l'arabe de la gare ? Le cul ? Même la branlette ça devient un divertissement pour nouveau riche avec des couilles fossilisées par la crasse.
Il a tapé un nouveau sprint dans la rue avec tous les grecs, y'avait un peu de monde, rien à foutre, il fonçait droit devant. Il a planté personne dans cette rue à ce que je sache, le massacre c'était un peu plus tard dans la soirée. Et moi de mon balcon je l'ai perdu de vue, donc la suite j'peux pas trop te dire. Par contre, ce qui s'est passé avec les jeunes et la police, ouais là je peux te faire les détails, parce qu'une fois que ma meuf est rentrée de son boulot j'ai dû sortir pour l'accompagner. C'était pas la meilleure idée que j'ai eu...
Elle devait aller voir une copine qui habite près de la gare. On a pris le bus, normal quoi. Les sirènes des voitures de police résonnaient jusque sur le plateau où se trouve la gare. Ca venait pas d'un endroit précis, c'était partout. La municipale quadrillait toute la zone. En même temps, on devait bien être les seuls cons à sortir ce soir là. 19h30 et pas d'autres voyageurs dans le bus. J'me souviens que ma copine a commencé à flipper elle aussi. De quoi elle avait peur ? T'as compris le système toi. Bien sûr que ce qui venait de se passer avec Napoton c'était chaud, j'lui ai raconté et ça l'a refroidie un peu. Seulement avec un peu de chance la police l'avait chopé, c'était déjà plié.
Non, c'était que le début. Voila ce que j'ai pensé. Le début parce qu'on vit sur un baril de poudre. N'importe quel incident devient un prétexte pour tout faire péter. La réflexion a été courte : le bus a été stoppé net par une voiture de police. Un barrage. Impossible d'aller plus loin. Le chauffeur était vraiment véner, je l'ai entendu saluer les keufs par un bon gros "Bande de putes", mais fenêtre fermée, et après avoir fait demi-tour, faut pas déconner. T'as jamais remarqué quand il se passe un truc important dans une ville, un incendie, une grosse baston, une bombe, n'importe, tous les gens qui se promènent dans des lieux où ils auraient jamais foutu les pieds avant ? Sérieux, j'crois que ça leur donne une raison pour sortir. Les gens se parlent et tout. Et plus c'est grave, plus les gens explorent leur ville et osent taper l'amitié avec les inconnus de la veille. Ah ah, sans déconner ? Tu m'apprends un truc j'te jure. J'pensais pas qu'un humoriste avait déjà fait un sketch là dessus.
C'est pas un humoriste ? C'est un youtubeur ? Ah ouais. Les jeunes d'aujourd'hui ont un putain de talent je trouve, même dans leur connerie. Merde je disais quoi déjà ? Ah oui, la ville. Quand on est rentré en bus, tu voyais des gens là où d'habitude c'est juste mort h24. Des familles surtout, avec le père qui s'est chauffé à sortir malgré les risques pour montrer à ses gosses qu'il est toujours dans le coup. Surtout des blancs hein, parce qu'en banlieue mon pote c'est un peu le schéma, les séries de barraques au pied des tours, qu'ont mal vieilli et sans personne pour vouloir les racheter. Le genre d'habitant qui a jamais fait d'autre trajet que celui de la gare à la maison et de la maison au supermarché. C'est la résignation permanente, l'humiliation renversée. Parce qu'il est minoritaire tu vois. Donc là c'était l'occaz pour sortir taper la discut avec Boubacar et Abdoulah, parce que pour une fois on a trouvé un ennemi commun. Le plateau et ses résidences dégueulait de quadra en manque d'aventure, les mecs devaient penser qu'avoir un truc en commun ça les rendrait plus fort, même si ce truc c'était la peur.
Là les galères ont commencé pour nous. Le chauffeur venait d'appeler son central et de nous faire savoir qu'il rentrait direct au dépôt. J'ai eu beau lui mettre la pression à cet enculé, les flics étaient partout et j'pense qu'ils devaient pas être en bon terme, tu vois l'genre ? Chauffeur de bus c'est un peu la voie de garage des gangsters trop vieux ou trop cons pour continuer le business. On a débarqué devant son putain d'entrepot, j'saurais même pas te dire où on était. Gentil le mec quand même, il a dû comprendre qu'on en avait plein le cul, il nous a proposé de nous raccompagner avec sa bagnole perso, dans un petit quart d'heure qu'il a dit. Une demie heure plus tard on prenait racine. Pas de chauffeur. Pas de sonnette, rien pour prévenir qui que ce soit. La misère.
Et puis là, miracle ! Le truc impossible tu vas m'dire, y'a une bagnole qui passe une première fois, une deuxième fois, et qu'on voit s'arrêter juste à l'angle de la rue, à une dizaine de mètres. Une meuf plutôt bien foutue est sortie et s'est allumée une clope. De notre côté on avait tout laissé à la barraque, alors forcément c'était l'aubaine, surtout qu'on se faisait drôlement chier. J'ai envoyé ma meuf, on sait jamais ce qu'une gonzesse peut s'imaginer quand un mec l'approche avec toutes ces conneries de harcélement de rue.
Ah... "les gonzesses", j'me suis dit quand j'ai vu qu'elle se sentait obligée d'engager la conversation alors qu'on en avait rien à foutre. Elle m'a fait signe de venir. La meuf, mignonne et tout, mais ça avait pas l'air d'aller, elle venait de chialer et son maquillage commençait à lui faire une gueule de tox', avec les grosses cernes et les cheveux bien filasses. Après cinq minutes j'comprends qu'elle parle de son mec qu'est chauffeur, qu'elle l'a largué hier, et puis le reste, j'ai pas trop suivi, j'pensais trop à Napoton et ce qui se passait en ville en fumant la clope que j'venais de lui taxer.Je les laisse discuter entre meufs, tu vois, je m'éloigne un peu parce que je m'en bats un peu les reins de ce qu'elles se disent. J'ai juste la rage après le chauffeur qui vient pas, j'me motive grave pour la suite, parce que va falloir marcher pendant une plombe. Et là, j'ai rien compris, les gonzesses montent dans la voiture, la mienne me fait signe de monter aussi. Le chauffeur en question c'était le notre, et cette enflure on pouvait l'attendre. Elle avait reçu un sms lui disant qu'il était barré chez des potes. Elle nous a déposé, j'crois que ça lui a fait du bien de cracher sur son mec devant ma copine, ce serait toujours ça de moins pour celle chez qui elle allait passer la soirée à se plaindre.
Arrivés chez nous, j'ai pas demandé mon reste, je suis allé me coucher. Mais rien à faire. Les hurlements des jeunes ça m'a cassé les oreilles, rajoute à ça les bagnoles de flics, les pompiers, les autres, les touristes du drame qui voulaient juste voir, ou filmer pt'être, j'oublie des fois qu'on est en 2017.
Tu t'rappelles d'Augusto ? Le grand black qui bossait avec moi, avec qui j'suis parti en Italie. Ouais, voila, avec son énorme queue, enfin c'est ce qui se disait, j'ai pas trop cherché à vérifier tu vois. Viril ? Ouais j'crois que le mot a été inventé pour lui. Les minettes étaient en mode niagara à chaque fois qu'on sortait. C'est pourtant pas son truc les minettes tu vois. Quoi ? Ca te surprend ? C'était de l'image tout ça, fallait bien en baiser une ou deux de temps en temps pour soigner sa réputation. Si tu savais, putain, si tu savais... c'est presque touchant de voir à quel point t'es innocent avec tes ptites boites. Et moi tu m'fous dans laquelle ? Ah ah détends toi j'plaisante.
Donc, Augusto, vers deux heures du matin, m'envoie un message. C'était pas inhabituel, le mec dormait jamais. Il bossait le jour comme cuisinier et la nuit c'était la sécurité dans les boites. J'commençais à prendre le pli d'être réveillé par des nibards et des culs surgonflés. Mais rien de tout ça dans son message. Fallait que je sorte de mon lit, et que je le rejoigne près du cinéma, "c'était la guerre" qu'il disait. Ouais, j'y suis allé.
Dans les rues du centre ville, ça gueulait, des jeunes surtout, des groupes de black et de rebeu qui se la jouaient milice. La nervosité des gens était au maximum. Plusieurs kebabs étaient toujours ouverts, on s'est posé pour bouffer et il m'a donné les news. Personne n'avait réussi à choper Napoton. Deux flics l'avaient acculé en pensant qu'un sdf fermerait sa gueule devant l'uniforme, j'imagine que pour sortir ton gun t'as besoin d'autre chose que la menace d'un cadavre avec un couteau. Pas fous, ils l'ont shooté avec le taser. Les décharges ? Devait plus être foutu comme nous Napoton avec le temps, il a découpé les deux flics. Plus trois personnes qui voulaient voir l'arrestation.
Avant minuit, on comptait une vingtaine de victimes, dont trois policiers. Le gars avait plus de limite. Avec Augusto on a un peu fait le tour, certains jeunes juraient de se venger, parce que parmi les victimes y'avait eu des types de leur cité, des meufs aussi. Il avait raison c'était vraiment la guerre. On voyait des couteaux, des battes, personne ne se cachait. La police regardait même plus. Ils avaient déjà du mal à attraper un clodo, alors s'ils devaient en plus gérer des dizaines de mecs qui criaient à la vendetta, ça partirait trop en vrille. Ils ont laissé faire. Pire, j'ai vu des flics en civil demander aux jeunes de les tenir informés, prêt de talkie walkie aux chefs de chaque groupe, le scénario made in USA !
J'savais que ma nuit était foutue, alors on a laissé filer les heures en se demandant quand est-ce que tout ça finirait. Avant que le soleil se lève, on a croisé des CRS, tu le crois ? des CRS ! Napoton avait réussi à mobiliser, rien que pour son cul, deux sections de CRS, alors que quelques heures plus tôt, même un gosse aurait pu le dégommer. Comment une loque pareille peut se transformer en tueur recherché par des centaines de personnes ? J'en sais rien mais je trouve ça presque beau. Augusto m'le disait pendant qu'on marchait : "c'est quoi ta définition d'un surhomme ?" Merde, un surhomme, c'est pas justement quand tu dépasses toutes tes limites ? Plus de morale ? Plus de règles, de lois ? Moi j'ai pas la réponse, mais ce qui s'est passé, c'était pas ordinaire. T'as des mecs qui passent leur vie à cultiver leur physique, à soulever de la fonte, à affiner leurs techniques de boxe, de judo, ou j'sais pas quoi, les mecs mangent sainement, ils font gaffe à tout un tas de machins, mais ça reste des hommes au fond.
Napoton c'était... autre chose. Alors CRS surentrainés ou rien, c'était pareil pour lui, il a brisé un barrage à lui tout seul, quinze soldats en armure, ça te parle ? Tout était surréaliste cette nuit là, les jeunes qui tapent la discut' avec les CRS, les CRS qui leur expliquent comment intégrer la brigade. Je commence à piger pourquoi on a eu des guerres et pourquoi on en aura encore. Quand dans un pays t'es à deux doigts de la guerre civile, que le peuple réclame des trucs que le gouvernement a pas envie de leur donner, suffit de soulever un putain d'épouvantail, du genre bien dégueu, qu'on connait pas et qu'on a pas envie de connaître, ouais, les nazi si tu veux, les allemands, les chinetoks, les martiens, ah ah, rigole pas ça viendra, et quand t'as cet épouvantail bien identifié, c'est gagné, t'as une grosse masse pleine de haine et prête à tuer.
Ben ouais mon pote, tu crois que c'est une maladie l'envie de tuer ? Moi j'crois pas. C'est un truc aussi vital que l'envie de baiser ou de s'faire des potes. C'est juste qu'on garde le truc assez loin pour jamais y penser. Mais si tu laisses la moindre opportunité à un tas de connard comme toi et moi d'exprimer leur envie de buter des trucs, tu peux être sûr qu'ils diront pas non. C'est humain.
La ville puait le meurtre, Napoton avait avait fait sauter le verrou, et maintenant fallait que les gens vivent le truc à fond. Il faisait jour, un groupe de mecs balèzes venait d'annoncer la nouvelle : Ils avaient eu Napoton ces enfoirés. C'était pas des rigolos eux. Ils avaient prévenu la police qu'après lui avoir bien explosé la tronche. Alors avec Augusto on a couru jusqu'au bord de la bassinne, la rivière qui servait de tout à l'égoût à la ville. La foule était vraiment compacte, on a dû bousculer un peu pour aller voir ce qui se passait au centre. Les flics sont arrivés à peu près en même temps que nous. Les parents avaient sortis les grands-mères, les gosses, tout le monde voulait sa part de violence.
Les cinq mecs qui l'avaient chopé se tenaient debout derrière lui, comme pour une photo de trophée de chasse. Napoton ressemblaient plus à rien, de la chair en charpie lui tenait encore un peu au visage, les yeux explosés par les coups. Il baignait dans son sang noir, façon animal égorgé pour l'Aïd. Impossible de détourner les yeux, j'étais captivé par le résultat. J'suis sûr qu'on en était tous là. Tous avec cette satisfaction dans le bide.
Il était même pas mort Napoton. On le voyait remuer ses bras et ramper en dégueulant. Et ça, c'est le truc le plus dingue que j'ai vu de toute ma vie. On l'a laissé faire, Napoton, c'était sa dernière épreuve, et la foule lui a accordé son dernier souhait de condamné à mort. Bordel... Augusto décrochait plus un mot, tous les regards étaient sur Napoton. Ce salaud a rampé, rampé encore, pour arriver dans le talus avec les conduites de gaz apparentes. Il a pris le tuyau à deux mains, et pour la dernière fois de sa vie a gueulé son nom tout en tirant. La conduite s'est décroché à l'endroit du joint métallique et un sifflement nous a fait reculer. Alors Napoton, il a pris ce tuyau là, avec le gaz qui s'échappait, il a collé son visage et a inspiré de toute ses forces, et s'est couché, kaput.