Passion
Le sujet ne saisit du monde que la partie immergée, il se sent bafoué car on lui ment, il le sait. On lui donne à voir les conséquences comme des actes
comportant en soi du sens. Il lit le monde, ne le vit pas. Sa contemplation devient rapidement passion de l'homme. Il s'élance dans l'examen de ses irrégularités, s'éprend de ses gestes dérisoires pour oublier
sa condition, applaudit aux mises en scènes. Quand il découvre que la pudeur attendue, celle qui agit comme un ciment entre les hommes, est l'ignorance des contradictions de la masquarade que nous
jouons tous, et qui a pour dessein de ne pas laisser voir que nous sommes seuls, il s'écarte moralement des hommes. Sa conduite se prête à la critique des bons amis, ceux dont les idéaux dissimulent autant
de frustrations, de colère et d'égotisme que d'aversion pour l'autre. Il ne sera pas assez ambitieux, pas assez altruiste, il sera menteur, hypocrite ou distrait, lâche, pessimiste, en manque d'amour propre, il ne sera pas parmi nous
ni parmi eux, il ne sera même plus.
Peur
Il n'est pas de position qui n'oblige, même involontairement à mépriser. S'y refusant, par définition, il maintient parallèlement une distance égale avec tous les hommes, il entretient l'angoisse
de leur aveux, il voudrait ne jamais les connaître entièrement, ne pas savoir les atrocités qui pourrissent au fond. Son corps tremble, les hommes sont loins de lui et d'eux même, il redoute
d'être confronté à l'ombre qui sommeille. Sa passion se réveille souvent et lui dicte des amours plein d'aveuglement, il se choisit des croyances arbitraires, l'âme est brisée mais le coeur chante. Seulement
ça n'arrive jamais, ils sont tous là, à attendre leur part, un peu de coeur pour toi, et pour toi, si je veux bien te croire ? Mais oui, évidemment, à tout en perdre que je veux te croire ! Au feu mon intégrité !
Les hommes sont bons et sincères ! Le sujet devient paranoïaque, s'exerce au rejet, ses rêves sont des supplices, l'avenir une grande fosse.
Aliénation
Il n'y a plus d'alliés, ni fictifs, ni potentiels, le monde est un système imperméable. Toutes les portes ont disparu, sa peur a brûlé toute substance qu'il croyait bénéfique et qu'il sentait pouvoir partager.
Son regard perce les amabilités, l'humanisme, la foi, l'amour. Il sait qu'il est seul, que tout est indifférence. A ses côtés il n'y a que des moribonds et des parasites, des visages sur des cancrelats.
L'homme misérable se révèle dans toute la splendeur de sa commisération, reflexe nerveux, vital, intrusif. Du fond de ses entrailles, il haït, il abhorre l'homme, il voudrait lui briser le cou, le piétiner, éteindre cette lumière dans ses yeux.