Nous avons le grand tort de considérer la trahison comme s'opposant à la vérité, et pourtant rien n'est plus improbable que de voir la trahison reposer sur la charpente du mensonge. La trahison c'est cette liberté que l'on s'offre en dehors des pressions qui s'exercent à faire de nous un être sociable, à la personnalité et aux caractéristiques continues, simplifiées. Nous nous offrons un petit entretien avec l'être qui habite sous ces monceaux d'identité prêtés bien généreusement par ceux qui refusent que nous soyons complexes et contradictoires.
Tout environnement possède une logique qui n'admet le caractère disparâtre des individus qu'à condition que leurs propriétés marginales restent muettes, ou particulièrement effacées. Faire partie d'un environnement c'est, en conséquence, accepter d'être double. Accepter d'une part d'être cette simplification, sorte d'homoncule, que les autres voient en vous, et supporter de faire coexister ce contrôle sur soi avec la personne étendue, paradoxale et désirante qu'on reconnaît en soi. A ce titre nous ne trahissons que cette image infâme, fruit de l'appauvrissement d'un imaginaire collectif sans grande tolérance, ainsi que le pouvoir dont nous ne ressentions pas le joug, l'ayant nous même passé à notre cou dans des dispositions aussi peu secrètes que critiquables, celles de l'asservissement charmant de la confiance. Qui ne trahit pas n'existe que dans ses rêves. Oui, ou dans ceux des autres.
Contrairement au consensus qui fait de la trahison, le pourrissement de la nature d'une âme, j'y vois plutôt la douloureuse affirmation de sa volonté de s'extraire de la boue qui nous avale petit à petit, nous et nos vertus, et dont nous partageons les tièdes replis graisseux, confortables. Si bien que nous voyons d'un oeil mauvais les mouvements de ceux qui de la boue commune veulent se retirer. Ah ! Affreuse odeur que celle qui vient de la profondeur des choses ordinaires et douces, relent morbide des rêves, des idées et des luttes, retournez à l'inertie, clapotis disgracieux qui de l'espoir putréfié crevez les interstices. Qu'est-ce qu... voilà maintenant que se lèvent les membres grotesques des animaux dont je partage le vivant tombeau ! Quelle vilaine bonne femme ! Quel homme insignifiant ! Et que font tous ces joyeux à se servir l'immondice comme le sang du christ ?! Ne suis-je moi même tout comme ces bêtes impies, condamné à voir tous mes pores se satisfaire de ce grand flot saumâtre qui me ronge et qui en moi s'étend, m'apporte guérison sur les plaies qu'il dévore subrepticement, comme une sournoise curée.
Il me faut vaincre et trahir. Il me faut aimer et trahir. Il me faut rire et trahir. Il me faut trahir et exister, sinon je ne serai jamais du corps que l'ombre, calque discret d'un mensonge.