Narcisse et Echo

image Narcisse et Echo

Acte 1. Scène première.

Jupiter : l'épicier volage.
Junon : sa femme.
Echo : jeune fille du village.
Les nymphes : amies de Narcisse.

Junon(essouflée)
- Des rendez-vous, des rendez-vous... Ils ont bon dos les rendez-vous quand on a une boutique à faire tourner ! Qu'est ce qu'il imagine ? Qu'après 10 ans de mariage je n'ai pas compris son petit manège ?
"Oh, remplace moi l'après-midi tu me feras plaisir ma douce" et des "qu'est ce que je ferais sans toi ?" et des années que ça dure, que tout le village sait de quoi il s'agit avec le vieux Jupiter... et même qu'on parle de lui jusqu'à des kilomètres, et pas en bien ma foi !
Bien sûr, "c'est la faute à la Junon" qu'elle sait pas "tenir son couple" "qu'avec moi ça marcherait droit", mais j'ai essayé moi de lui enlever sa lubie au Jupiter... J'y en ai balancé des claques, pas qu'à lui faut dire, les trainées que j'y ai trouvé avec parfois...
Bhé après... il a quand même du répondant mon homme, y font pas les fiers dans le village quand il s'énerve, et pis faut voir aussi un peu la situation qu'on a. On a pas la misère sur le visage comme d'autres, on mange à notre faim et j'ai de quoi m'habiller. Si c'était pas son problème de glande, je serais une femme heureuse et respectée dans le village... qu'on me regarderait pas en coin à l'Eglise...! N'empêche que cette fois il a passé les bornes..! Des enfants, mon dieu... si ce que m'a dit le petit voisin est vrai... Je vais accélérer le pas, je suis presque à l'ancien lavoir où il m'a dit les avoir vu, et... tiens ! Mais c'est cette petite pipelette d'Echo qui attend accroupie, elle a sûrement aperçu mon mari !

Junon (elle salue)
- Hé ! Echo, comment va la petiote ?

Echo (elle s'avance pour lui faire la bise)
- Bien et vous ? Mais j'ai 15 ans je suis plus une petite.

Junon
- Ta ta ta ta, tu es bien mignonne mais tu es encore une enfant. Une enfant qui aime acheter des bonbons avec le reste de la monnaie, et qui ne dit pas non quand sa maman veut lui offrir une pochette surprise...!

Echo
- C'était l'année dernière.

Junon
- Ah... tu es une petite fille bien différente cette année ?

Echo
- Ma mère me laisse sortir le soir après le souper.

Junon
- Maintenant que tu le dis, de ma fenêtre je te vois parfois descendre les poubelles quand...

Echo (elle l'interrompt)
- Mon oncle me laisse conduire sa mobylette.

Junon
- Bon bon, tu es une très grande petite fille, (elle sursaute) mais j'ai des affaires urgentes qui m'attendent ! Tu n'aurais pas vu mon mari ?

Echo(En dansant, elle traverse la rue et escalade le rebord d'une fenêtre)
- Oh non, pas vu Jupiter, mais... (elle fait signe à Junon de se rapprocher)

Junon (se rapproche)
- Oui, fais vite, je dois vraiment y aller, on m'a dit que...

Echo (elle lui coupe la parole et se laisse tomber à ses pieds)
- ...Que j'ai une toute nouvelle robe ! C'est papi qui me l'a ramenée de la ville. Maman n'aime pas trop, elle trouve que ça fait trop femme, mais moi c'est ce qui me plaît bien. Regarde quand je tourne !
(Elle tourne en faisant des petits pas, ses mains dans les cheveux, les yeux fermés) Tu as vu comme elle vole ? C'est exactement comme dans les films, tu sais ceux avec l'actrice que l'oncle Henri aime bien... je ne me souviens plus de son nom...
(Junon réfléchit une seconde et tente de dire quelque chose) Oh ! mais attends, l'oncle Henri, tu ne sais pas ce qui lui est arrivé ? Il est parti chasser avec mon cousin...(du regard elle interroge Junon)

Junon (agacée)
- C'est...le petit ? Baptiste ?

Echo (déçue)
- Pas Baptiste. Il est parti l'année dernière Baptiste...

Junon
- Ce doit être François, hé ?

Echo(silence)
- ... perdu !

Junon
- Peuh...si c'est pas François, alors c'est le Julien, ou Guillaume, ou Martin, Té ! Qu'est ce que ça peut me faire à moi !
(Au loin on entend le rire de Jupiter et d'autres voix juvéniles) Jupiter ! Attend voir ...! (elle se précipite dans sa direction)

Echo (s'interpose au devant de Junon)
- Elie ! C'est Elie ! (elle lui prend le poignet) A la chasse... (elle regarde le sol) il a tué sa chienne.

Junon (elle parvient à se dégager)
- Eh bhé.

Echo
- Et... et... (elle pleure) elle attendait des petits.

Junon(se ravise et fait demi-tour)
- Ma foi, il doit être dans tous ses états... ma pauvre petite.(soudainement dubitative) C'était la chienne du concours ?

Echo(renifle)
- Oui.

Junon
- Pelage blanc avec une tâche marron au niveau du cou ?

Echo
- Oui...

Junon(furieuse)
- Tu serais pas en train de te payer ma tête par hasard ?! Je viens de la croiser pas plus tard que ce matin, cette chienne là est aussi morte que mon Jupiter ! Jupiter ?! (Elle s'affole et hurle) Jupiter !! Ah c'est que je viens de comprendre maintenant ! C'est un complot, tu es avec lui !

Echo (fait un pas en arrière)
- Elles voulaient que je surveille...

Junon(s'empresse vers le lavoir et crie)
- Ne bouge pas d'ici, si tu crois t'en tirer comme ça ! (à Echo) A ton âge, petite garce, j'aurai dû me méfier ! Attends voir que je revienne et on dira pas que Junon sait pas se faire respecter ! (elle disparaît derrière le lavoir)

Echo (A elle-même)
- Elles m'ont dit que si je le faisais pas, elles iraient tout dire à ma mère pour le garçon de la fête des moissons... "C'est simple, il suffit de bavarder, tu sais faire ça Echo ? Raconte n'importe quoi et on aura le temps de prendre la fuite" Tu parles... Et à chaque fois que Jupiter batifole, c'est moi qu'on demande pour retenir la Junon... dans le temps je comprenais pas bien pourquoi on faisait autant de secrets... Jusqu'à ce que j'en ai des secrets moi aussi... et des garçons. Sauf que mes secrets moi je sais pas les garder, c'est plus fort que moi... J'adore parler, entendre les mots, écouter le son qu'ils font quand je les prononce. Puis je m'en moque de ce qu'ils disent, ça ne m'intéresse pas, moi j'aime la musique des syllabes qu'on accroche comme des fleurs à un bouquet ! Si ça chante, ça me plait.
Les secrets aussi ça me plaît. Les secrets quand on les raconte, ça fait des petits sons, comme la pluie, ploc plic ploc, sur les feuilles, sous les arbres, comme la neige, floc flic floc, sur le toit des maisons. Un petit endroit bercé par l'ombre, voilà ce que sont les secrets.
(elle regarde le ciel)Et les garçons ? Ils sont pas secrets les garçons, mais l'amour oui, ça sonne comme un secret. (Elle mime une danse rituelle, ses gestes au ralenti) Comme çaaa,(elle met le doigt devant sa bouche) avec plein de chhhhhhuuuuut et de hummmmmm.(elle arrête) Je crois que je suis amoureuse.
(On entend Junon revenir en maugréant) Junon va me punir...

Junon
- Les nymphes... c'est bien... c'est bien... il l'aura pas volée celle là... des gamines qu'on même pas encore de formes... la honte sur lui, sur nous... Mon mari est un détraqué ! Bah ! Ça se veut des dames... les jupes et fardée comme au bordel... qu'est ce qu'elles ont dans la tête... C'est pas tant sa faute à lui qu'à toutes ces petites garces !
Pour sûr, oui, n'importe quel homme s'y laisserait prendre...(elle aperçoit Echo) Ah ! Toi... (elle lui prend violemment le bras et la tire derrière elle) Tu vas t'en souvenir crois en la vieille Junon, tu vas te rappeller ce qu'il en coûte de couvrir tes camarades...

Echo (docile)
- Oui madame...

Junon
- Tu me donnes du madame maintenant ? C'est chez ta mère que je t'emmène !

Echo
- Très bien.(elle siffle)

Junon (tire sur le bras d'Echo et braque son regard sur elle)
- Très bien ? Ça veut jouer les filles aimables ? (Elle lève les yeux au ciel) Parce que tu crois que je ne sais pas ce qui se dit ? Tu penses être au dessus de tout le monde, hein, la "petite fille rêveuse" du village, toujours à vadrouiller par les forêts et le long des ruisseaux. Mais tu veux que je te dise où c'est qu'on raconte que tu vadrouilles ? La petite Alice, ça te dit quelque chose ? (Echo arrête brusquement de siffler) Oh je crois que tu vas en avoir des choses à dire à ta mère, et moi donc ! Petite trainée... j'aurai rien dit à personne, parce que je suis pas comme ça et que les affaires des autres, je m'en fiche pas mal ! Mais c'est pas la première fois que tu fais la surveillante, et tes petits jeux pervers, mon dieu... (elle se signe). Ah... il fallait bien que quelqu'un te dénonce, tout ça pour ton bien... ta pauvre mère, tu te rends compte de ce qu'elle va subir quand elle apprendra que sa fille est une invertie !(Echo se laisse tomber par terre) Eh ! Qu'est ce qu'il ya ? On ne chante plus ?

Echo (suppliante)
- Pas à ma mère ! Non !

Junon
- Il fallait y penser avant de faire ces saletés ! C'est un secret pour personne !

Echo (effondrée)
- Si... C'est un secret... pour moi.

Junon (en colère)
- Si c'est pas misérable, c'était donc ça tes promenades près de la vieille bergerie. Là-bas, Alice et toi, toutes les deux... Mon dieu... (elle se signe à nouveau) Ta mère aurait bien intérêt à t'envoyer en pension chez les soeurs, j'ai toujours dit qu'y avait rien de bon pour une jeune fille à courir partout.

Echo (parcourue de tremblements)
- La mu...sique... C'est... la musique... (elle se couvre les oreilles) Je l'entends.... celle de l'amour... (elle se roule par terre en riant à travers de longs hoquets) Mon secret !... Je... (elle s'immobilise et ses yeux sont révulsés)

Junon
- Ma parole, elle devient folle ! Echo, Echo ?! Elle respire encore, (elle lui secoue le bras) c'est une attaque ! J'avais bien besoin de ça ! (elle se signe) Si c'était...? Seigneur... Je vais chercher sa mère !


Acte 1. Scène deux.

Echo.
Le médecin.
La mère d'Echo.

Le médecin
- Tout à fait remarquable... (il ouvre un gros livre qu'il consulte avec emphase)... Hy....Hy.. ah ! Nous y voila, "Hystérie"... hum... (on l'entend à peine) supérieurement intéressant ma foi...(il lit à voix basse)... oh !... Eh bien... ceci explique cela...! (il pose l'ouvrage et se frotte les mains)... C'EST FORMIDABLE !

La mère d'Echo (soudaine pleine d'espoir)
- Vraiment docteur ?! Vous avez un remède pour ma petite ?!

Le médecin
- La petite ? Quelle petite ? (il regarde sur le lit) Ah ! Vous voulez parler de mon hystérique. (il s'éclaircit la gorge) Le remède Madame, dans les cas comme celui-ci, n'est pas au premier chapitre du roman de la maladie. Ce n'est pas tous les jours que l'on rencontre un cas d'hystérie, et pour tout vous dire celui ci pourrait bien être le premier en ce qui me concerne; toujours est-il qu'elle nécessite d'infinies précautions et de l'ordre dans les soins.

La mère d'Echo
- Y a-t-il quelque chose que je doive faire avec ma fille ?

Le médecin (ailleurs)
- Oui, oui faites la sortir, ce n'est pas un endroit pour une enfant... (il retourne à ses pensées et se parle à lui-même) ...la psychiatrie ? Allons... et pourquoi pas ? Ferdinand, mon cher, ne solde pas ton ambition, un cas d'hystérie infantile peut bien t'ouvrir les portes de l'université si tu réussis à écrire et publier ton article! Bien procéder par étape... les symptômes... les symptômes ?! (attentif à nouveau, il cherche la mère d'Echo du regard) Madame ? Pourriez-v.. Mais Madame que faites-vous ! (la mère tient la fille par la main et s'apprête à lui faire franchir la porte d'entrée) Assez, ramenez moi mon hys.. ma patiente ici, j'ai plusieurs questions à vous poser.

Echo
- ...vous posez

La mère d'Echo (stupéfaite)
- Ma fille ! Elle, elle parle ! (elle la sert dans ses bras)

Le médecin (la tête enfouie dans son livre)
- Fort bien, fort bien... explorons : ...diriez-vous de votre fille qu'il lui est arrivé de ...parler, comme elle vient de le faire, avant sa crise ?

La mère d'Echo
- Mais Echo a toujours parlé.

Le médecin
- Intéressant... (il griffonne quelques mots sur un papier)

La mère d'Echo
- Comment tu te sens Echo ? Tu m'as fait très peur tu sais ! Deux jours sans rien dire, à rester assise sur ton lit. Qu'est ce qui cloche chez toi ma fille ? Ah si il était encore là ton père...

Echo
- ...ton père !

La mère d'Echo
- Mais, pardon ?!

Echo
- pardon...

La mère d'Echo
- Je préfère ça... tu sais très bien que papi s'est bien occupé de nous quand ton père est parti, et que sans lui on ne serait rien.

Echo (se met à pleurer)
- ...rien

Le médecin
- Attendez voir... je vais m'adresser directement à votre fille, si vous le permettez. (sans attendre d'approbation, il sépare la mère et la fille). Dis moi, est-ce qu'il t'arrive parfois d'avoir... très envie de... (il tourne à nouveau les pages de son livre) non... tu trouves que la... hum... ah ! Que l'on ne t'aime peut-être pas suffisamment, c'est ça oui !

Echo (elle pleure abondamment)
- snif...c'est...ça...oui

Le médecin (s'exclamant)
- Je m'en doutais ! Ah... bien, très bien. (il reprend des notes et se tourne vers la mère) Je suppose que vous trouvez ma patiente assez distraite, pour ne pas dire tête en l'air ?

La mère d'Echo(à Echo,furieuse)
- Alors ça ! C'est pas fini de raconter des choses pareilles au docteur ?! Moi qui sue sang et eau pour qu'on soit pas malheureuses toutes les deux, je me suis jamais remariée par ta faute ! (Elle se retourne vers le médecin) Oh que si qu'elle est tête en l'air, jamais les pieds sur terre, on ne sait pas ce qui lui passe par la tête. (elle marque une pause) Sûrement pas du bon si vous voulez mon avis docteur. Maintenant que vous êtes là, je peux vous le dire. Cette petite on a toujours eu des problèmes avec elle, déjà du vivant de son père ! Le voisinage... ya des rumeurs et des on-dit; On m'a même rapporté que ce serait pas la fille de son père... ni la mienne ! (elle rit méchamment) Ha! Remarquez que je suis plus sûre que ça me dérangerait autant, avec le genre de coeur de pierre qu'elle a ! Oui docteur, une ingrate, pour tous les soins et l'affection qu'on lui a donné !

Le médecin (il tente de prendre note)
- ... Certes... certes... comment dites vous "son coeur"... ?

La mère d'Echo
- De la roche, dure et sèche ! Elle est toute à ses rêveries, et personne ne l'intéresse !

Le médecin (à part lui-même, en comparant ses notes et son ouvrage)
- Le tableau clinique est réellement bon jusqu'ici ! Avec toutefois un rien de... un quelque chose qui puisse me...

La mère d'Echo(elle continuait de parler)
-...et ils n'en ont pas voulu ! Trois établissements et trois renvois ! Vous vous rendez compte docteur...
(le docteur et la mère d'Echo, ensemble :
Le médecin (pense à haute voix) : oh oui... c'est une chance !
La mère d'Echo : ...c'est un véritable malheur !

Le médecin (confus)
- Hum... une chance... que je sois ici, (gêné) et par conséquent... Hum... J'aimerai m'entretenir quelques instants avec... avec... comment vous dites déjà ?

La mère d'Echo
-Echo.

Le médecin
- C'est celà, Echo, ma petite patiente... (il se tourne vers elle et affiche un sourire forcé) ...qui va être bien gentille et répondre à toutes les questions que le docteur va lui poser, n'est-ce pas ?
(Echo acquiesse en secouant timidement la tête)
- Parfait, et maintenant, Madame, si vous permettez (d'un geste il lui indique la porte) la science est en marche et ne doit souffrir d'aucun retard ! (elle sort) ...là ! Ferdinand, mon très cher Ferdinand, c'est entre toi et la postérité désormais. Ah ! Sans oublier la petite hystérique... (il réfléchit)
Après tout... voyons... rien ne s'oppose à ce que sur le papier les symptômes ne soient légèrement accentués... La postérité, Ferdinand, mérite bien quelques ajustements... ! Et le sujet s'y prête particulièrement bien... Allons y gaiement, (il reprend son cahier et note) ...troubles anxieux... irritabilité... hypersomnie... troubles obsessionnels avec idées obsédantes...(il s'arrête et écarquille les yeux) Mon vieux Ferdinand ! Qu'est-ce que tu es en train de faire ? (il se lève, sort une pipe de son veston qu'il porte à sa bouche) Est-ce vraiment pour ça que tu as choisi d'être médecin ? (il allume sa pipe et marche en fumant) L'université... les colloques, les confrères admiratifs... mon nom inscrit dans les encyclopédies... Ferdinand, Ferdinand, Ferdinand... (il regarde attentivement Echo pour la première fois, et s'attendrit sur son visage effrayé) Je suis désolé Echo. (il passe sa main sur sa joue, elle a un geste de recul puis se laisse approcher) Tu vois, j'étais à deux doigts de faire un mensonge, et certainement de nombreux autres, par ce qu'il m'importait davantage de réussir ma carrière que d'être au service de mes patients.
(Un frisson lui parcours l'échine) Diantre... C'est effrayant qu'une science comme celle de l'esprit puisse laisser autant de place à l'interprétation... Quand je pense à tous mes confrères moins scrupuleux... (il secoue la tête, se lève et ouvre la porte)
Madame ! Revenez je vous en prie, mon diagnostic est prêt.

La mère d'Echo (elle revient précipitamment)
- Alors Docteur ? Qu'est ce qu'on peut faire pour elle

Le médecin
- Elle a subi un choc nerveux, essayez de la ménager au niveau émotionnel pour les semaines à venir. Soyez douce et compréhensive. Elle ne pensait pas ce qu'elle disait tout à l'heure. Il me semble que le choc a modifié ses capacités à communiquer. En y réfléchissant bien... (il se tourne vers Echo) Veux-tu bien nous dire quelque chose Echo ?

Echo
-...quelque chose Echo (navrée de ce qu'elle vient de dire, elle porte la main devant sa bouche)

Le médecin
- Ce n'est rien Echo, là, repose toi. Madame, votre fille ne parvient qu'à reproduire les derniers mots qu'elle aura entendu, il ne s'agit pas d'une farce qu'elle vous joue, mais de l'effet du traumatisme subi. Celà devrait se rétablir avec le temps et beaucoup de repos. Au revoir Madame. Prenez bien soin d'Echo.

La mère d'Echo
-Ma fille est... possédée Docteur ?

Le médecin
-C'est à un prêtre qu'il faudrait poser la question Madame. Pour ma part, je ne crois pas que le diable soit assez bête pour se montrer aussi facilement. Votre fille réagit d'une façon... disons... particulière. Mais rien de grave rassurez-vous, ces symptômes disparaissent généralement en deux à trois semaines. (il fait un dernier signe à Echo et sa mère, passe la porte et la referme derrière lui).

La mère d'Echo
(Elle regarde sa fille avec un mélange de pitié et de dégoût)
-Qu'est ce que j'ai fait au bon Dieu pour mériter ça ?

Acte 2. Scène première.

Echo
Cyllène : Jeune naïade, fille de Jupiter.

Au gué d'un ruisseau, la lumière caresse silencieusement l'amas des branchages amoncelées par les dernières crues. Echo marche dans l'eau peu profonde, et s'amuse à tenir en équilibre sur le pont formé par le bois mort. Silencieusement, Cyllène observe cachée derrière un arbuste.

Echo
... (Elle perd l'équilibre et saute à pieds joints dans le ruisseau. Puis, lassée, s'assoie dans l'eau et regarde le ciel à travers les arbres.)

Cyllène (à haute voix)
-Moi aussi j'aime bien venir ici. Mais je m'y baigne rarement.(Echo sursaute et se relève instinctivement) Non, ne pars pas, je ne voulais pas te faire peur. Je m'appelle Cyllène, et toi ?

Echo
-...

Cyllène
-Tu ne veux pas me répondre ? Je suis désolée. Je comprends, tu préfères sûrement rester seule. C'est ce que je fais quand je viens ici, je reste seule avec les arbres et l'eau, à regarder la lumière qui fait briller les pierres dans le courant. Et je ...
(Echo se tient les deux mains contre sa poitrine, et commence à sangloter)
Tu préfères que je m'en aille, non ?
(elle fait demi tour et commence à s'éloigner.)

Echo
-...Non !
(Elle s'élance après elle et agrippe fermement son poignet)

Cyllène(surprise)
-Alors... je suppose que je reste. Mais tu n'es pas obligée de me dire ton prénom. D'ailleurs je le connais déjà, tu sais ma belle-mère parle beaucoup de toi, Echo. Elle dit surtout que je ne devrais pas jouer avec toi, parce que tu es folle. Tu sais ce que ça veut dire folle ? Moi j'ai demandé à mon père, Jupiter. Il sait toujours répondre à mes questions. Il m'a dit : folle c'est quand quelqu'un dit quelque chose et que personne ne comprend. Sauf que toi tu dis rien, et que je comprends quand même.(elle lui passe la main dans les cheveux)

Echo
-...quand même.

Cyllène
-Ils sont très beaux.
(elle continue à la coiffer avec ses doigts)

Echo
-...très beaux.

Cyllène
-J'ai une amie qui en a des plus jolis tu sais.

Echo
-...tu sais.

Cyllène (elle arrête)
-Tu as finis de répéter ce que je dis ?

Echo (se remet à sangloter, plus fort)
-...

Cyllène
-Tu ne le fais pas exprès, c'est ça ?

Echo
-...c'est ça.

Cyllène
-C'est quand même pas par hasard. Mon père dit que le hasard ça n'existe pas. Mais si tu es malade c'est différent.
(elle lui prend la main et la guide vers le ruisseau)
Viens, je vais te montrer un secret. Mais d'abord tu dois me promettre quelque chose. Répéter ce que les gens disent c'est très malpoli tu sais ? Alors pour le moment, c'est mieux si tu ne dis rien. Et puis tu n'as pas besoin de parler pour te faire comprendre. Regarde.
(Face à Echo, Cyllène fronce les sourcils)
Alors ? Tu vois, c'est mes yeux qui parlent ! Et si je fais ça...
(Elle caresse son visage)
C'est ma main qui te dit quelque chose.

(Echo ouvre grand la bouche comme pour lui répondre, puis se ravise et esquisse un début de sourire.)

Cyllène
-Viens avec moi, je vais te montrer mon secret.(elle l'emmène à nouveau vers le ruisseau)Tu vois toutes ces pierres sous l'eau ? Elles sont toutes rondes et lisses, elles sont très belles tu ne trouves pas ? C'est l'eau qui leur fait ça, mon père me l'a expliqué. Il dit souvent que la nature fait de très belles choses si on lui laisse le temps. (elle se penche et examine les pierres.) Mais mon mère dit aussi que le temps on ne l'a pas. Qu'il ne faut pas trainer et rêvasser. C'est pour ça qu'on a inventé les voitures, les avions, pour aller plus vite. Pour ne pas en perdre de temps. Les supermarchés pour ne pas chercher trop longtemps des choses dont on aurait besoin... Oh ! Je crois que j'en ai trouvé.

(Cyllène ramasse deux petites pierres ternes et granuleuses)

Est-ce qu'elles te plaisent ?
(Cyllène lui montre ses caillous et Echo fais signe que non en remuant la tête, une pleine poignée de petites gemmes colorées entre les mains.)
Oui, les tiennes brillent plus, elles ont de jolis reflets, et elles sont plus agréables à toucher. Mais... tu es déjà montée à cheval Echo ? Ne rie pas, j'adore les chevaux, et pourtant, je dois te confier qu'ils me font très peur. Leur grande tête allongée, ces yeux énormes, leur souffle bruyant... et pourtant, quand je chevauche, je ne me sens plus seule, je ne suis plus toute petite, j'ai l'impression de faire partie de quelque chose... de la nature, du vent, de la terre où nous marchons. Mon père dit qu'un cheval ça ne sert plus à rien, et il me montre dans les magazines toutes les photos de voitures qu'il aimerait bien acheter, des rouges, des jaunes, des blanches. "De vrais bijoux", c'est son expression. Mais des bijoux j'en ai déjà vu, ma belle-mère a une grosse bague avec un diamant. Une fois j'ai demandé à mon père d'où venait le diamant. Il m'a répondu "de chez le bijoutier". Mais quand j'ai posé la question pour savoir comment faisait le bijoutier pour fabriquer des diamants, il s'est moqué de moi. Parce qu'après j'ai su que les diamants, les rubis, les emeraudes, il fallait d'abord aller les chercher sous terre, dans des mines qu'on creuse très profondément. C'est le génie de l'homme dit mon père. Oui, je le crois, mon père est très intelligent. La seule chose... la seule chose qui m'ennuie c'est de savoir, à ton avis Echo, qui les as mis là les diamants ?
(Echo hausse les épaules et fixe attentivement les pierres de Cyllène, en essayant tant bien que mal d'exprimer par une grimace son impatience) Ah ! J'ai compris, tu veux connaître mon secret. Tu me fais confiance ? Ce n'est pas un secret pour n'importe qui. Prend cette pierre, je garde l'autre, voilà. Maintenant tu vas faire exactement comme moi, d'accord ? Je commence par l'embrasser, pas comme on embrasse son père où sa mère, mais comme on embrasse... tu as déjà embrassé un garçon Echo ?
(Moue triste d'Echo)
Ca va, ce n'est pas important(Elle se penche vers Echo et lui donne un baiser)Tu as senti la différence ? Cette différence, c'est...assez bon.(Echo est saisie de frissons)D'accord, je reprends. Regarde moi faire. J'embrasse ma pierre, et je lui offre ça...c'est un cadeau pour elle... Tu dois sentir que quelque chose passe dans tes lèvres... ensuite... rien de plus simple. Hop !(Cyllène gobe la pierre comme un bonbon)A toi maintenant ! (Echo mime tous les gestes de Syllène et avale la pierre) Ferme les yeux Echo, mon secret est tout proche.

Acte 2. Scène deux.

Echo
Cyllène
Narcisse : Adolescent citadin en vacances.

Narcisse
-Sérieusement ? C'est vraiment ici qu'on va passer deux mois ? Dites-moi que c'est une blague (il jette un coup d'oeil désabusé autour de lui) Comment c'est naze ! J'y crois pas... Malgré tout ce que j'ai pu dire à ma mère, il a fallu que ce vieux con de Docteur lui mette ces idées dans la tête...! "Narcisse a besoin de prendre l'air, nianiania, ce serait idéal pour lui de se retrouver à la campagne loin d'Internet, de la télévision... quel connard ! Qu'est ce qu'il y connaît lui aux jeunes, tous les vieux sont des cons aigris ! S'il aime patauger dans la boue et ramasser des orties pour son herbier, c'est son problème à ce salaud de Tirésias. Tout ce que j'ai pu sauver c'est mon téléphone, merci mon dieu. C'est pas trop la fête niveau réseau, mais gardons la pêche je peux encore envoyer des selfies à mes admirateurs et leur montrer la détresse qui est mienne ! Ahah non mais qu'est ce que je raconte, c'est plus de la détresse à ce niveau, c'est de la détention ! Prison ferme mon gars ! T'en as pour deux mois, compte les jours et accroche toi.(tout en marchant, Narcisse pianote sur son téléphone) Tro-o-o-o-p bien ! (il sursaute) Vuvulve a publié une nouvelle vidéo sur la politique. La dernière c'était quoi déjà ? Ah oui, "10 choses hilarantes à faire avec un tampax" c'était intéressant mais je me vois pas acheter des tampax quand même. Moui... je vais plutôt regarder des vidéos sur le gommage, avec tous les trucs dégueulasses qu'on trouve ici, je risque de rentrer avec un grain de peau si horrible que même les filtres de mes applis n'y pourront rien. Alors... "nettoyer... nettoyer sa peau... visite en forêt..." Nice ! "Comment garder une peau aussi fraîche qu'en ville quand on est en vacances chez les bouseux" parfait ! (il continue de marcher)

Cyllène
-Echo, je crois que quelqu'un arrive. Oui, je vois une fille sur le chemin du village, elle vient par ici. Mais elle n'a pas l'air de nous voir, elle est penchée sur son téléphone. Avant qu'elle ne soit là, Echo, tu dois savoir que mon secre... (sur l'autre rive, Narcisse trébuche sur les galets et s'étale de tout son long dans le ruisseau)

Narcisse
-...putain !

Cyllène et Echo
-Ça va ?

Echo(chuchote)
-...je ...je parle ?

Cyllène(chuchote)
- C'est en partie ça mon secret, il y a autre chose... mais nous en parlerons plus tard, viens, allons l'aider.

Narcisse(se relève et commence à s'examiner)
- Oh merde, mes fringues sont dégueu... et j'ai super mal au genou (il enroule son jean jusqu'au dessus du genou, ne révélant rien de particulier) C'est hyper dur de tenir debout... ah... je crois que je vais devoir appeler ma mère... (Echo et Cyllène se tiennent toujours devant lui sans qu'il ait fait attention à elles)

Echo
-C'est rien, tu as juste glissé. Tu n'as même pas de bleu.

Narcisse
-Ouais, d'accord, une fille de 12 ans sort de nulle part et me concocte un diagnostic de médecin, tu veux pas plutôt aller chercher de l'aide, ou faire un truc à base d'algues pour calmer la douleur... ah putain, j'ai mal sérieux...

Echo(à voix basse)
- J'ai 15 ans.

Cyllène
-C'est drôle je pensais que tu étais une fille.

Echo(contemplative)
- Oui, avec de très beaux cheveux longs.

Narcisse
-Ouais, merci les filles, mais en fait, le truc, c'est qu'en ville les mecs prennent soins d'eux, mais là si ça vous fait rien, je voudrais pouvoir être rapatrié, c'est mort pour les vacances, je vais devoir rentrer, ouf...la douleur se propage... par hélico sûrement, faudrait faire un feu pour signaler notre présence... les filles soyez chouettes, vous savez sûrement faire un feu, non ?

Echo
-En plein jour ?

Narcisse(dédaigneux)
- Si tu savais tous les tutos de survie que j'ai regardé. Comment survivre à une attaque de zombies. Comment trouver LA paire de chaussure en solde sans se faire écrabouiller. Et je sais même grâce à ces vidéos que l'on peut survivre plusieurs jours dans le désert en buvant...oh mon dieu... son urine.

Cyllène
-En attendant, tu devrais pouvoir éviter d'en arriver là (elle regarde les pieds de Narcisse) l'eau du ruisseau est potable, c'est une source. Viens Echo, laissons-le se faire hélitreuiller en paix.

Narcisse
-Attends, attends ! Toi... Echo ? Tu as dit quoi sur mes cheveux tout à l'heure ?

Echo(elle se retourne)
- Qu'ils sont très beaux.

Narcisse
-J'ai des milliers de fans qui commentent mes photos Instalook, je peux te les montrer si tu veux. Si je retrouve mon téléphone... non, non, non ! Je ne l'ai plus ! J'ai dû le faire tomber (hystérique) Non mais tu regardes quoi là ? Je te dis que mon téléphone est tombé dans l'eau, aide moi à le rechercher !

Cyllène
-Je rentre au village Echo, tu devrais venir avec moi

Narcisse(il pousse un cri de dégoût)
- Eurk... je l'ai retrouvé, c'est... immonde... il est dans les algues là où on voit plein de mouches bizarres à la surface.

Cyllène
-Ce sont des libellules. Echo ? Tu m'accompagnes.

Echo(Elle avance jusqu'au bras d'eau vaseuse et plonge son bras sans hésitation)
- Je... Ca y est je l'ai récupéré. Je suis désolée, il faudra certainement en acheter un nouveau.

Cyllène
-Echo !

Echo
-J'ai envie de rester un peu ici. (elle tend son téléphone à Narcisse) Et la suite du secret, qu'est-ce que c'était ?

Cyllène
-Très bien. Comme tu voudras. Mais une autre fois. Pas devant lui. Mon père m'a toujours dit que les gens de la ville ne méritaient pas nos secrets, qu'ils ne comprendraient pas, comme les fous. A Dieu Echo. (elle part précipitamment)

Narcisse
-Elle se la raconte un peu trop ta copine (il prend une photo de son profil, avec en fond l'endroit ou se trouvait son téléphone) "Cou..ra..geu..sement ...sauvé... mon... bébé..." ouais... je disais, t'inquiète pas pour le téléphone, il est waterproof jusqu'à 75 mètres. Je l'ai déjà laissé plus de deux heures dans l'évier, chez moi. Tu te rends compte un peu le record ? D-E-U-X H-E-U-R-E-S, c'est génial la technologie, hein ?

Echo(absorbée par le visage de Narcisse)
- Ah heu, oui. Deux heures. C'est... beaucoup pour un téléphone.

Narcisse(prend conscience du regard d'Echo)
- Dis-moi vite fait, tu préfères quand je fais ce regard là (il plisse les yeux, bouche en avant) le regard viril... ou bien celui-là (il laisse sa bouche légèrement entrouverte et et prend un air faussement sérieux) le regard sexy... Alors ?

Echo
-Je ne sais pas, le regard viril peut-être, mais j'aime bien aussi au naturel.

Narcisse(il n'a pas attendu la réponse et se prend en photo en se forçant à sourire)
- Que tous mes fans se rassurent ! Je suis bien arrivé à... (il se tourne vers Echo et braque l'objectif sur elle) à ?... non je déconne ! Personne, bien entendu, n'en a quelque chose à faire ! (il revient sur lui) Bien arrivé, malgré un accident qui a failli me coûter cher, et j'ai même rencontré des sauvages A-K-A... (à Echo) Psst, c'est quoi ton pseudo déjà?

Echo
-Ben... c'est Echo, mais ce...

Narcisse
-Echo ! C'est cool ! Allez ce sera tout pour cet après-midi, see you soon pour la suite de Narcisse chez les paysans ! (Il ferme son application et son sourire s'évanouit immédiatement)

Echo
-En réalité il n'en reste plus beaucoup des agriculteurs dans le village. Ca fait longtemps que la plupart des gens travaillent en ville. Ma mère par exemple elle...

Narcisse(tranchant)
- C'est super ! Merci pour le cours de sociologie, et si on faisait comme ta copine et qu'on rentrait avant que toutes les grosses mouches écoeurantes ne viennent pondre sur ma peau leurs larves non moins répugnantes ? Sauf si tu as mieux à me proposer, comme de fabriquer une cabane en bouse, ou de pêcher des truites avec du fil dentaire. Attend voir, c'est un truc que vous faites vraiment ? Je me suis toujours demandé. Non, ne répond pas, c'était une question réthorique, tu sais comme dans "tiens, mais qu'est-ce qu'elle fabrique ?" ou "Quelle heure peut-il bien être à Shangaï ?"

Echo
-Je peux te montrer quelque chose. Mais il faut faire attention, c'est dangereux.

Narcisse(relève la tête de son portable)
- Dangereux ? Dangereux comment ?

Echo
-Plusieurs personnes se sont tuées là-bas. C'est le barrage du Boundoulaou. Sur le bord on voit toute la vallée, ça ressemble à des miniatures d'arbres, de maisons, vu de là-haut. Il faut être prudent, mais c'est très beau.

Narcisse
-Plusieurs morts tu dis ? Moi, Narcisse, je vais tourner une vidéo dans un endroit si dangereux que plusieurs personnes en sont mortes ? (il met la main devant sa bouche) Tu te rends compte du potentiel du truc ? Une vidéo sur Myteub et j'explose le million de vues...

Echo
-Les accès au barrage ont été fermés. Depuis le dernier accident, tout est grillagé. Mais je connais un passage. Je suis la seule à le connaître. Alors si tu veux vraiment y aller, il faut que tu me donnes quelque chose toi aussi... comme un cadeau.

Narcisse
-Bon. J'ai compris. Tu m'avais reconnu ? Allez, balance ton pseudo InstaChat, que je t'ajoute, j'irai même mettre un commentaire sur une de tes photos. J'en reviens pas de rencontrer une fan dans un coin aussi paumé. T'avais prévu le truc ? Tu sais, tu pouvais demander simplement, peut-être que je l'aurai fait sans ça.

Echo
-Ce n'est pas ça que je veux. Je n'ai même pas de téléphone. (Narcisse mime une crise cardiaque, Echo attend qu'il finisse par renoncer d'aller jusqu'au bout et de se rouler par terre) Je m'en fiche de Insta je sais pas quoi, ce que je veux, c'est que tu m'offres... un baiser.

Narcisse(soulagé)
- Woua ! Un moment j'ai cru que tu allais me demander quelque chose de dingue ! Si c'est qu'un baiser ça va. (il s'avance vers elle et l'embrasse brièvement, du bout des lèvres) Alors, il est où ce barrage ?

Echo(déçue)
- C'était pas comme...

Narcisse
-C'est quoi le problème ?

Echo
-C'était pas un baiser, ça.

Narcisse
-Laisse moi vérifier... C'était bien mes lèvres, c'était bien les tiennes, elles se sont touchées. OK je crois que la check-list est bonne, techniquement c'était un baiser. On avance ?

Echo
-Oui... (elle se redresse et part devant en suivant le lit du ruisseau)

Narcisse
-Hola attend, attend ! (il court pour la rattraper) Ca va être énorme ! Comment t'as dit que ça s'appellait déjà ?

Echo
-Le barrage du Boundoulaou

Narcisse(essouflé)
- Ouais, ok, tu sais quoi ? On coupera au montage. Je suis pas sûr que le monde soit prêt pour le "Boundoulaou".

Acte 3. Scène première.

Echo
Narcisse

Echo
-Baisse toi pour passer juste sous la racine de l'arbre. Fais attention à tes pieds.

Narcisse
-Je dois dire que c'est vraiment mortel, même si j'ai quelques doutes sur la sécurité. Ah ! C'est quoi ça ? Put... non mais ça colle, c'est immonde !

Echo
-Evite juste de te lécher les doigts, tu viens d'écraser un champignon qui poussait sous la racine.

Narcisse
-Merci du conseil, je n'y avais pas pensé. Même les champignons sont plus sympas en ville. Ils ne puent pas, ils sont petits et ne crachent pas un jus infect à chaque fois qu'on met le doigt dessus.

Echo
-Tu aimes les champignons ? Je pourrai t'emmener en cueillir, mon grand-père m'a montré où en trouver.

Narcisse
-Je déteste ça. Je préfère encore bouffer... bouffer... merde ! C'est quoi ce chemin de merde ! J'ai de la toile d'araignée pleins les cheveux !

Echo(elle se retourne)
-Laisse moi t'aider (elle approche sa main)

Narcisse
-Enlève ! Enlève-les ! Dépêche !

Echo
-Mais ? C'est juste de la mousse. (elle lui enlève) Tu n'aimes vraiment pas la nature.

Narcisse
-La nature c'est fait pour être bouffé ou pour construire des meubles. Tous mes amis pensent comme moi, on a les mêmes centres d'intérêt, tout simplement parce que c'est LO-GI-QUE. Tu piges ? La nature c'est sale et désordonné, on a évolué et maintenant on ne peut pas y survivre plus d'une journée sans crever de froid ou de faim. C'est la science qui le dit, pas moi !

Echo
-Et ça sert à quoi d'évoluer ?

Narcisse
-Tu veux un exemple ? OK. T'as combien d'amis ?

Echo
-Je ne sais pas, peut-être deux ?

Narcisse
-J'en ai... (il consulte son téléphone) 3494. Sans compter les fans. Et combien de personnes t'ont déjà dit qu'elles t'aimaient ?

Echo
-Une seule.

Echo
-Sans déconner ? (il rit) j'en peux plus... une seule elle répond... On me l'a déjà dit... je pourrais même pas compter! C'est quasiment tous les jours ! Tu vois c'est ça l'évolution. Toi t'es ici dans la nature, dans ton village, avec tes deux amies, dont une qui doit être imaginaire, personne ne t'aime ! Et moi grâce au progrès j'ai des milliers d'amis, avec qui partager mes goûts, mes loisirs, qui peuvent savoir ce que je fais en temps réel. Plein de gens me trouvent beau, fais pas semblant je t'ai vu me regarder tout à l'heure.

Echo
-C'est vrai... je te trouve très beau. Et toi, tu me trouves comment ?

Narcisse
-Merci petite fille seule. Car, oui, oh, surprise !, tu es seule, seule, seule. De toute façon il n'y a rien d'autre dans la nature que la solitude. Alors prends en un bon gros morceau et régale toi. Pendant que moi je vais continuer sur ce chemin et faire la vidéo de l'année.(il accélère et dépasse Echo)

Echo(à voix basse)
-Il ne m'a pas répondu...

Narcisse
-D'ailleurs, t'es pas obligée de me suivre, je vois déjà le lac et le barrage. Je te laisse à tes champignons et tes cailloux.

Echo(à voix basse)
-Tu...es...si...

Narcisse(il s'arrête)
-Quoi ? Méchant ? Ignoble ? Pas gentil du tout ? Pauvre Echo, tu ne te rends pas compte, quand on est aussi bien que moi, on ne prend pas ce qui passe sous la main, on sélectionne, on fait le difficile, on cherche à avoir mieux. Et... Oups, qu'est ce que j'ai dans la poche ? Mon téléphone ? Qui a lui seul à plus d'importance que tu n'en auras jamais. Tous mes comptes, mes photos, mes vidéos, mes amis, mes fans. C'est toute une vie là-dedans ! Allez ciao ! (il s'élance vers le lac)

Echo(elle crie)
-...CIAO ! (elle s'effondre au sol, en larmes) ...ciao ?... ciao, ciao...!

(Prise de hoquet, Echo, finit par expulser la pierre qu'elle avait avalée. La pierre n'est plus terne, mais d'un jaune laiteux.)

Echo
(elle s'élance à son tour vers le barrage) -...ciao !

Acte 3. Scène finale.

Narcisse
Echo
Nemesis : Vieille gardienne du barrage.

Nemesis
-Ma foi, pas mécontente de cette petite sieste moi. Mais serait pt'être temps d'aller jeter un oeil aux pompes. J'ai du retard sur les relevés de pression de 15 heures et je vais me faire taper sur les doigts. Marrant ça... on dirait comme des animaux qui viennent s'abreuver au bord du lac, pourtant toute la zone est inaccessible au gibier. A tous les coups la grille a cédé, des sangliers ont creusé dessous. Je vais regarder de plus près les bestiaux. (elle prend ses jumelles) Mais... Mais c'est pas du gibier du tout ! C'est des gosses qui jouent ! C'est bien ma veine d'avoir des gamins qui jouent de l'autre côté quand j'ai oublié mon mégaphone à la maison. Allez, zou ! J'y vais à pattes ! Si jamais y'en a un qui tombe, ce sera pour ma poire !

Narcisse
-C'est immense ce truc ! On se croirait dans un film. Je vais commencer d'ici pour avoir des vues panoramiques.(il met sa caméra en marche) Salut à tous ! Je vous avais promis quelques frissons pendant ces vacances forcées à la campagne, alors, pour vous, maintenant, le... (il réfléchit) le barrage de... Vous savez quoi ? On s'en balance ! Regardez-moi ça ! (il tourne son téléphone vers le portail de la passerelle du barrage, puis le déplace jusqu'à filmer l'autre extrémité) Chers fans, je dois vous avouer que j'ai quand même quelques frissons, mais vous n'avez encore rien vu. (des bruits de pas rapides, derrière lui, Echo arrive à bout de souffle. Narcisse éteint sa caméra.) Tu lâches vraiment pas l'affaire toi ? Ça m'arrangerait que tu ne viennes pas gâcher ma vidéo.(il enjambe le portail et se dirige vers le centre du barrage)

Echo
-...ma vidéo (épuisée par la course, elle tombe lourdement sur les genoux) ma vidéo !

Narcisse
-Quoi ? Je ne t'entends plus désolé. C'est l'enfer ce bruit ! (il avance encore et se penche par dessus la rambarde de sécurité) La chute d'eau est hyper impressionnante ! En avant pour la scène vertige signée Narcisse. (il rallume sa caméra) COMME VOUS LE VOYEZ... je ne sais pas si on m'entend très bien ? Bah, peu importe... JE SUIS AU POINT LE PLUS HAUT DU BARRAGE, LE POINT DE VUE EST MAGNIFIQUE ! JE VAIS TENTER DE MONTER ENCORE UN PEU PLUS HAUT, CE QUI N'A JAMAIS ÉTÉ TENTÉ AUPARAVANT...(il escalade la grille protégeant l'antenne météorologique, puis l'antenne elle-même.) WOUHOU C'EST É-NO-RME LES AMIS, N'EN PERDEZ PAS UNE MIETTE JE VAIS ESSAYER DE VOUS MONTRER LA HAUTEUR DU TRUC ! (il tourne son téléphone vers lui, et à bout de bras, le tient au dessus de sa tête, en contre-plongée.) EN LIVE DU BARRAGE DE MES COUILLES SUR LA CHAINE DE NARCISSE ! AH AH 100 METRES DE VIDE SOUS MON CUL ! (dans l'aperçu, de la mousse lui pend encore sur le front) FAIS CH...(Quelqu'un crie, Narcisse perd l'équilibre et tombe sur l'extérieur de la grille, seulement retenu par ses vêtements)

Nemesis(elle hurle)
-Gamin !

Narcisse
-Putain, mon téléphone...(il tente de le rattraper alors qu'il glisse hors de sa poche) Faut... faut filmer ça...

Nemesis(paniquée)
-GAMIN ! ACCROCHE TOI ! LACHE TON TÉLÉPHONE ! (elle monte sur la rambarde)

Echo
-...TON TÉLÉPHONE !

Narcisse
-Ouais... je l'ai presque...

(Sa chemise se déchire d'un bruit sec. Et Narcisse tombe sans le moindre cri)

Nemesis
-Oh seigneur...! (elle s'avance et regarde l'imperturbable rugisement de l'eau crachée par le barrage.) C'est... pas possible. Non... (elle scrute le bassin en contrebas, où la cascade vient se briser) C'est...fini pour lui, personne ne survit en tombant de cette hauteur. Pauvre gosse. (elle se prend la tête entre les mains et se tourne vers Echo)Il ne faut pas rester là... Ton ami... C'est affreux... Je vais appeller les secours. (elle retourne à son poste de contrôle)

Echo attend que la gardienne se soit éloignée, et gravit elle aussi les marches jusqu'à l'antenne. Elle grimpe sur la rambarde et descend sur le parapet, juste au bord du vide.
Là, sur le ciment trempé par la vapeur d'eau, repose un objet d'un blanc éclatant, bordé d'un jaune vif et d'une finition sans défauts. Echo se penche et ramasse le téléphone intact. Sur l'écran rétro-éclairé, se répétant à l'infini, une vidéo en boucle montre Narcisse se forçant à sourire une dernière fois à ses admirateurs, puis chuter.